Chapitre 6 1/3

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Faith

La sonnerie du micro-onde me rappelle que j'ai remis ma tasse de café à réchauffer. Préparée à l'aube, je l'ai oublié dans la cuisine, alors que, perdue dans mes pensées, je m'obstinais à mâcher un beignet au goût fade.

Je récupère la tasse, mais le liquide ambré ne me tente plus. L'odeur froide et âcre n'est plus là et ne me gêne plus, pourtant, mon estomac ne se réjouit pas à l'idée d'avaler ne serait qu'une toute petite gorgée.

Je frotte nerveusement mes mains contre mes cuisses, tout en tournant la tête vers la fenêtre. Quelle heure est-il ?

Le soleil est levé depuis un moment, mais combien de temps, exactement, impossible de le dire ? Depuis la mort d'Hope, mon sommeil n'a plus rien de réparateur. Le marchand de sable déserte mon lit et ce n'est que lorsque mon corps est au bord de l'épuisement que je fini par sombrer dans un monde sans rêve.

Je fini souvent par perdre la notion du temps. Et la situation ne s'est pas arrangé avec la demande de l'inspecteur Parker. Ou plutôt l'ordre. Jusque-là, j'avais un plan d'action qui me permettait de garder l'esprit occupé. Maintenant que j'ai entre les mains la preuve qu'il y a eu négligence, l'attente est une torture. Patienter n'a jamais été mon fort.

J'étouffe.

J'ai besoin de prendre l'air.

Sans même prendre la peine de vider ma tasse, j'attrape mon sac, enfile une paire de basket et quitte mon appartement.

L'été n'est pas au meilleur de sa forme depuis quelques jours. Le soleil est là, les températures sont douces, mais le vent s'est joint à la partie.

En marchant, je regroupe mes cheveux dans un chignon approximatif, mais plusieurs mèches continuent de venir chatouiller mon visage. Si Hope était là, elle recommencerait à me harceler pour aller au coiffeur, pour changer d'image, adopter une coupe plus courte. Elle rêvait de me voir autrement qu'avec mes longs cheveux bruns. Seulement, elle n'est pas là. Il n'y a personne pour me supplier du regard.

Je repousse cette pensée dans un coin de ma tête alors que j'évite de peu un adolescent à vélo qui utilise le trottoir comme voie cyclable. Il continue son chemin sans même un coup d'œil dans ma direction.

Je ne cherche même pas à aller très loin. L'important est juste d'arrêter de tourner en rond entre quatre murs comme un lion en cage. Une chose est sûre : si je n'ai pas de nouvelle dans la journée, le mail concernant le légiste qui s'est occupé du dossier de ma sœur arrivera entre les mains des journalistes demain. Et surtout dans celles de Franck.

Il n'est pas question de perdre encore plus de temps. Et tant pis pour les répercussions. J'ai accepté de donner à l'inspecteur Parker quelques heures. C'est tout ! Ma priorité est d'obtenir la vérité et la justice pour Hope. Les autres ne me concernent pas. Thornel et les autres assumeront les conséquences de leurs actes.

Je traverse la route en direction du Tim Hortons situé juste en face de mon immeuble. A cette heure de la journée, les tables sont presque toutes vides. Une note indique de s'installer directement au lieu de se rendre au guichet. Effectivement, deux hommes s'activent autour des vitrines, rendant inaccessible le passage.

J'opte pour une table placée contre la fenêtre à proximité de la porte, le plus loin possible de la moindre présence humaine.

Un Expresso et un Chai Latte, annonce le serveur en posant deux tasses devant le couple installé à l'autre bout.

Aussitôt, mon esprit divague à nouveau et se perd dans les méandres de mes souvenirs. C'est exactement ce que nous commandions quand Hope et moi venions ici ensemble. Presque à chacune des visites de ma sœur, en réalité. Elle n'a jamais aimé le café, qualifiant cette boisson de jus de chaussette. Hope avait développé une passion pour le thé, ce qui n'est pas du tout à mon goût. Elle râlait à chaque fois parce qu'il n'y avait aucune boîte de son péché mignon dans mes placards et qu'elle allait être obligée de se contentait de sa deuxième boisson préférée. J'oubliais tout le temps du thé. Ou plutôt, je le lui faisais croire. En réalité, j'adorais simplement la voir rouspéter et soupirer avant de m'attraper par le bras. En à peine deux minutes, on était assises ici.

Cela me faisait toujours rire.

— Mademoiselle.

Cette interpellation me sort de mes pensées. Le serveur est debout, à côté de ma table, et me fixe d'un air impatient. J'imagine que ce n'est pas la première fois qu'il tente d'obtenir mon attention. Pourtant, malgré son attitude, aucun mot ne semble vouloir sortir de ma bouche. Je réalise à cet instant que c'est la première fois que je me retrouve ici sans ma sœur.

— Je n'ai pas toute la matinée, grogne-t-il, agacé. Qu'est-ce que je vous sers ? ajoute-t-il, en tapant son crayon sur son carnet.

— Un exp...café mocha, fini-je par dire après une légère hésitation.

L'homme me tourne le dos et s'éloigne, non sans grommeler entre ses dents un « cliente chiante », avant que le reste de ses jurons ne soient noyés par le bruit de la perceuse.

Je n'ai pas le cœur de répliquer, et de toute manière, les échos des travaux m'en empêcheraient, et tente de repousser l'impression de ne pas être à ma place.

Sans elle, je n'ai de toute façon plus l'impression d'être à ma place nulle part.

Même dans mon appartement. Il est comme vide de vie sans elle.

Il n'y avait qu'auprès d'Hope que...

Nous étions deux personnes qui se soutenaient dans la tempête de la vie. Je sens les larmes me monter aux yeux et me concentre pour les chasser, ne pas craquer. Ce n'est ni le lieu, ni l'endroit.

Les paupières baissées, j'essaye d'attraper au vol un souvenir plaisant pour m'y aider. Comme celui du bal de fin d'année où nous avons décidé d'aller à l'encontre de toutes les règles établies en y allant tous les deux ensembles, ou celui d'Hope m'annonçant fièrement avoir obtenu son diplôme de journaliste.

Rien n'y fait.

Le raclement d'une chaise m'oblige à rouvrir les yeux, au moment même où le serveur pose le gobelet sur la table, un peu trop brutalement. Sans un mot, il fait demi-tour, ne laissant que ma commande sur la table, dont quelques gouttes ont éclaboussé la surface malgré le couvercle en plastique, et l'addition posée à côté d'une serviette.

Les tâches ont l'avantage de capter mon attention. Je les essuie avec une précision extrême jusqu'à ce qu'il n'ait plus rien.

Je referme mes doigts sur le gobelet chaud et pose mes lèvres dessus, avant de cesser tout mouvement.

Une silhouette del'autre côté de la rue se détache des commerçants et des livreurs. 

A l'ombre de sa mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant