Un...
Deux...
Trois.
Je respire un grand coup et me lance d'une main tremblante. Ce n'est plus simplement la chaleur du mois d'août qui m'étouffe. La boule d'angoisse qui se forme dans ma gorge y est aussi pour quelque chose. Avant de faire marche arrière, je commence à parcourir les feuilles remplies de notes, d'informations, de dates. Les premières sont des photocopies du dossier de police concernant ma sœur avec des retranscriptions signées par l'inspecteur Aiden Parker. L'image d'un flic me revient immédiatement en mémoire. Un homme brun, les cheveux courts, la mâchoire carré et surtout avec plusieurs cicatrices qui barrent son visage, le rendant plus difficile à cerner. Malgré la douceur de ses paroles à certains moments, ses traits n'ont jamais paru se détendre.
Mais est-ce réellement à cause de ses balafres ou est-ce uniquement son attitude habituelle ?
L'entretien qui a eu lieu entre nous deux le jour fatidique est inscrit au mot près, comme s'il avait tout enregistré. Même ses manques de délicatesse sont présents. On peut lui reconnaître sa rigueur, il n'a pas l'air d'être du genre à vouloir dissimuler ses erreurs.
Ce passage ne m'intéresse pas réellement, l'ayant encore parfaitement en mémoire. Et puis, ce n'est pas nos quelques phrases échangées qui vont me permettre d'obtenir gain de cause. Il n'y a rien dans ce document qui peut m'aider à remettre en cause les conclusions de la police, même si, déjà, à ce moment-là, il penchait pour l'hypothèse de la mort naturelle alors qu'il n'avait même pas commencer à enquêter.
Sans me préoccuper des cris des enfants, je continue ma lecture, me plongeant dans l'interrogatoire d'un voisin d'Hope mené par l'inspecteur Parker, sans rien apprendre d'extraordinaire. Il ne voyait que rarement ma sœur, ne lui disait que « bonjour » ou « bonne soirée » à l'occasion, et n'a jamais assisté à une altercation.
Il n'a pas été plus loin, ou alors, Limeson n'a pas récupéré le dossier complet.
Le document suivant comporte essentiellement des notes du détective privé. La mort de ma sœur a été classée comme naturelle quelques semaines après son décès, ce qui m'a déjà été notifié avec force et de vive voix.
C'est d'ailleurs la raison qui m'a poussé à engager Limeson, au début de l'été.
L'épicier au coin de la rue aurait aperçu Hope vers 21h, le soir de sa mort.
Ce qui n'a rien d'étonnant. Hope faisait les courses quand elle en avait besoin, préférant s'approvisionner au compte-goutte plutôt que de stocker, même si cela la forçait souvent à ressortir le soir ou à se faire livrer de la Street Food. Elle n'aimait pas être obligée de manger quelque chose juste pour éviter que ça finisse à la poubelle.
Limeson a lui aussi interrogé le voisin d'Hope, en apprenant quelque chose en plus par rapport aux flics.
Peter Bomber aurait apparemment entendu de la musique provenant de l'appartement d'Hope vers 22h, le soir de son décès. Un peu forte, certes, mais il n'a rien dit, le lendemain étant férié à cause du Victoria Day. Et puis, d'après ses dires, cela n'a duré qu'une vingtaine de minutes.
Ma sœur n'était pas du genre à mettre sa radio à fond, mais il pouvait arriver qu'elle monte le son, surtout en voiture. Ce n'est donc pas une preuve en soi, toutefois l'heure est un élément à retenir.
Soit Hope était encore en vie à 22h30, soit ce n'est pas elle qui a éteint la musique. Le légiste doit avoir estimé une heure pour le décès, je dois regarder ça de plus près.
Limeson fait mention d'un appel téléphonique avec un « voir le relevé ». Fébrilement, je fouille les pages à la recherche de ce fameux justificatif, mais celui-ci reste introuvable.
— Merde ! lâché-je sans le vouloir entre mes dents.
Ce qui me vaut des exclamations de stupeurs et de nombreux regards noirs.
Sérieux !
Comme si les adultes présents n'avaient jamais été grossiers de leur vie.
La poisse !
Il va falloir que je retourne voir Limeson et que je m'excuse pour obtenir les éléments manquants. Ou que je sorte un billet en plus.
Sans un mot pour les personnes outrées, je replonge dans le dossier, agacée.
Un état qui ne dure pas.
Le rapport du médecin légiste change la donne. La colère se dissout aussi vite que du sucre dans l'eau, et le chagrin revient en force. La laideur du monde refait surface devant mes yeux. Hope. Ma sœur. Ma meilleure amie. Elle n'a pas de visage, pas de corps. Elle n'est qu'un croquis, un dessin identique à tant d'autre. Tout en retenant mes larmes, je m'oblige à lire les conclusions, dans l'espoir d'y trouver enfin le détail, le point, le petit truc qui me redonnera la vie. En vain. L'heure du décès n'est pas précise, se positionnant dans une fourchette, qui inclus le moment où la musique a diminué de volume, d'après Peter Bomber.
De plus, il n'y a aucune trace d'injection, aucune blessure, aucune marque, à l'exception d'un léger bleu sur son genou.
Quelle idiote !
Croire qu'il y aurait un miracle, qu'un élément aurait été oublié, dissimulé, et qu'on me prendrait enfin au sérieux, c'était stupide de ma part.
La vie ne nous a jamais fait de cadeaux, alors pourquoi commencerait-elle maintenant ?
Je laisse ma tête partir en arrière, le visage recouvert de mes mains.
Que faire maintenant ? Quelle sera la prochaine étape ?
Engager un autre détective, quitte à devoir emprunter de l'argent ?
Mes économies ont fondu comme peau de chagrin depuis le décès de ma sœur, je n'ai plus vraiment les moyens de continuer sans devoir frapper à quelques portes. Sauf que des portes, je n'en ai pas. Je n'ai personne à solliciter.
Mettre un terme à cette histoire et rejoindre Hope ?
Ma tête me dit de me faire une raison, qu'il n'y a rien à trouver, que la police a raison, mais mon cœur lui, me hurle dans sa souffrance qu'elle ne m'aurait pas abandonnée, qu'elle a été tuée, même si tout prouve le contraire.
— Madame, tu as perdu ça.
Je baisse les mains et redresse la tête, découvrant la petite fille aux tresses nouées, qui me fixe de ses grands yeux marron. Elle me tend une feuille qui a dû tomber sur le sol, non sans me dévisager avec attention.
— Merci, murmuré-je en étirant légèrement mes lèvres.
Elle penche la tête légèrement sur le côté comme si elle réfléchissait à la signification de mon sourire, avant de décider de m'en faire un aussi et de repartir en courant vers la balançoire.
Je l'observe quelques secondes avant de laisser mon regard dériver vers le contenu de la page entre mes doigts. La copie d'un mail confidentiel qui n'aurait jamais dû atterrir entre les mains de Limeson.
Comment a-t-il obtenu ça ?
Je n'en ai pas la moindre idée, mais ce qui est sûr, c'est qu'il vient de m'offrir une occasion en or de faire entendre ma voix.
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A l'ombre de sa mort
RomanceFaith Benett refuse d'accepter les conclusions de la police concernant la mort de sa sœur jumelle. Elle en est sûre, Hope a été tuée, et elle est déterminée à le prouver. Quand le détective privé qu'elle a engagé obtient la copie d'un mail confident...