Chapitre 1 1/2

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Faith

— Vous êtes prête ?

J'hoche la tête, lui donnant ainsi la permission d'ouvrir les portes de la salle des pompes funèbres. La plus petite, celle réservée aux familles restreintes. Celle réservée à ceux qui n'ont presque personne.

Je n'avais pas envie de croiser des collègues, des voisins d'Hope qui pour leur B.A du jour auraient décidé de dire « au revoir » à ma sœur, alors même qu'ils ne lui disaient pas bonjour de son vivant.

Je n'avais pas envie de faire face à l'hypocrisie humaine, alors, sous le conseil de l'homme des pompes funèbre, un créneau a été réservé pour eux.

Maintenant, c'est à mon tour.

L'homme en costume me précède, m'invitant à le suivre en silence le long de l'allée qui sépare les deux rangées de bancs en bois qui resteront vide. Je n'ai pas prévu d'y prendre place, de m'installer pour écouter le discours de condoléance d'une personne qui n'a même pas connu ma sœur. J'ai décliné cette idée, comme j'ai refusé presque toutes les propositions. Hope n'aurait pas voulu d'une cérémonie remplie de mots inutiles.

Je tente de ne pas faire attention au cercueil, de m'imaginer que ce n'est pas celui de ma jumelle, que c'est une erreur. J'avance d'une démarche mal assurée, repoussant l'image d'Hope, allongée sur le sol, morte.

Malheureusement, en arrivant au bout de l'allée, je n'ai pas le choix de devoir lui faire face. Les larmes reviennent en force, demandent à couler le long de mes joues, mais mes sanglots restent dépourvus de perles salées. Depuis des jours, des semaines, je ne cesse de maintenir mon cœur fragmenté en état de marche pour continuer de respirer, non sans me lamenter à longueur de temps. Il faut croire que mon corps à trop donné, qu'il n'est plus en état de pleurer.

C'est étrange de la voir ici, endormie pour l'éternité, fauchée dans sa vingt-septième année, sans aucune trace de maquillage visible. Elle n'aurait pas aimé s'afficher aux yeux des autres sans son fameux trait d'eye-liner noir et son fard à paupières de la même couleur. Elle grognait à chaque fois qu'un livreur frappait à sa porte au réveil, ne lui laissant pas le temps de se préparer, ou quand on était ensemble au petit-déjeuner et que nos visages chiffonnés par la fatigue n'avaient plus aucune différence. Elle ne se sentait pas elle-même.

Sous le regard effaré de l'homme, je sors de ma poche un crayon noir et trace un trait sur ses paupières fermées, les mains tremblantes.

Ce n'est pas parfait, mais au moins, ma sœur retrouve quelque peu son identité alors que la mienne s'efface légèrement.

Je détourne la tête en entendant un bruit de pas dans mon dos et découvre avec stupeur qu'un homme s'est invité sans même me demander mon avis.

Les cicatrices qui cisaillent son visage ressortent encore plus dans cet environnement austère, alors qu'il arbore un air morose. Immobile, il jette un coup d'œil à la ronde avant de me fixer.

— Vous le connaissez ? me demande l'employé dans un murmure alors que l'inspecteur s'avance dans notre direction.

J'hoche la tête, à contrecœur, préférant ne pas envenimer la situation. Quelques jours plus tôt, l'affaire a été définitivement classée par la police comme une mort naturelle. Je ne suis pas d'accord avec leurs conclusions, mais ce n'est pas le jour de laisser ma colère prendre le dessus.

L'homme des pompes funèbres s'éclipse avec un hochement de tête, nous laissant seuls.

— Toutes mes condoléances, chuchote l'inspecteur, une fois posté à mes côtés.

— Je dois vous remercier, je suppose ? ne puis-je m'empêcher de répliquer.

— Je n'en ai aucune idée, je n'ai jamais assisté à un enterrement, m'explique-t-il tout en se frottant la nuque, embarrassé.

— Il faut croire que certains sont plus chanceux que d'autres.

Ma main se pose sur le collier qui pend à mon cou, une plume d'ange argentée. Un cadeau d'Hope.

— Ça ne signifie pas que je n'ai pas perdu des gens que j'aimais.

Qu'est-ce qu'il veut dire, exactement ? Qu'il n'a pas accompagné ces gens lors de leur dernier voyage ? Comment peut-il dire qu'il les aimait, alors ?

Même en étant enfants, Hope et moi avons étaient là pour nos parents.

—Qu'est-ce que vous faîtes là, inspecteur ?

— Je voulais simplement faire mes adieux à votre sœur, murmure-t-il, mal à l'aise.

— Pourquoi ?

— Pourquoi quoi ? répète-t-il dans l'incompréhension la plus totale.

— Pourquoi Elle ? Pourquoi choisir l'enterrement de ma sœur pour votre première expérience. Vous ne la connaissiez même pas.

— Je n'en sais rien, à vrai dire, lâche-t-il en haussant les épaules. J'ai juste eu la sensation qu'il fallait que je sois là.

Il sort quelque chose de sa poche.

— Et j'avais aussi l'impression que vous seriez heureuse d'avoir ceci, aujourd'hui, ajoute-t-il alors que je reconnais sans mal la moitié de cœur avec mon prénom.

Il le glisse entre mes doigts, sous mon air étonné. Ce geste me touche énormément et me laisse sans voix. Je n'avais pas réalisé jusqu'à cet instant que j'avais besoin de ça, de ce petit objet en argent.

— Je...euh...

Les mots refusent de sortir de ma bouche, bloqués à la frontière de mes lèvres.

— Ce n'est rien, répond-il, comprenant mon intention dans mes hésitations. Il vous faudra passer au poste pour récupérer le reste et signer un document de restitution, mais ça peut attendre un peu.

Sa main se retire, laissant dans le creux de la mienne, la partie de mon cœur gardée précieusement par ma sœur.

Sans attendre, je retire mon trousseau de clé de ma poche et assemble les deux moitiés de cœur pour n'en former plus qu'un.

L'espace d'un instant, j'ai l'impression d'être à nouveau entière.

— Je suis désolé de vous avoir importuné, je vais vous laisser, murmure l'inspecteur avant de reprendre le chemin inverse jusqu'à la sortie en silence, refermant délicatement derrière lui.

L'homme des pompes funèbres réapparaît quelques secondes, le temps de lancer une playlist de circonstance, avant de me laisser seule, une nouvelle fois.

Seule avec elle. 

A l'ombre de sa mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant