Chapitre 6 2/3

1 1 0
                                    

Je n'ai aucun mal à reconnaître l'inspecteur Parker. Ce n'est même pas son allure de flic qui me met sur la piste. Ni même son visage qu'il met impossible de distinguer. C'est simplement un « tilt » dans mon cerveau qui me crie son nom.

Qu'est-ce qu'il fiche ici ? Et surtout, qu'est-ce qu'il fait devant la porte de mon immeuble. Ce ne peux pas être une coïncidence. Nous ne sommes que six à vivre dans cet endroit, et il n'y a peu de chance qu'il soit venu voir Mr Eagles qui ne sort jamais de chez lui, à part pour ses courses, ou encore Mme Salver, cette mère de famille toujours en train de courir partout. Il est forcément venu pour Hope.

Pour Hope. Et non, pour moi.

L'inspecteur n'a aucune raison de me rendre une visite de complaisance. Nos rapports ne sont basés que sur la mort de ma jumelle. Il n'en a rien à faire de soulager le poids qui pèse sur mes épaules, de m'offrir enfin la possibilité de partir définitivement. Son seul intérêt est de minimiser les conséquences de cette affaire.

Je sors de ma poche un billet, prête à le jeter sur la table pour le rejoindre en courant avant qu'il ne se décide à partir, seulement, mon regard croise le sien au moment où il tourne la tête dans ma direction, et l'espace d'un instant, c'est comme si plus rien ne bouge autour de nous.

Ce n'est pas la première fois que nos yeux s'accrochent, pourtant, ça n'a jamais été comparable à cet instant.

Peut-être parce que cette fois-ci il m'est possible de voir au-delà de son regard de flic, et de plonger directement dans un abîme sans fond, puissant, attractif. C'est comme si j'étais aspiré dans une infinité de nuances de marrons.

Le serveur brise cet eyes contact qui a semblé durer des heures, en m'arrachant l'argent des mains, et balance la monnaie sur la table dans un tintement agressif. Je sursaute, en me maudissant intérieurement, et récupère mes affaires sans le regarder.

Qu'est-ce qui te prend, Faith ? Ce flic n'est qu'un moyen de parvenir à tes fins. Il n'est rien et ne sera jamais rien pour toi. Ne te laisse pas attendrir.

Je quitte l'établissement sans même prendre mon gobelet et traverse la rue en direction de mon immeuble.

Vous avez quelque chose à me dire, inspecteur ? lancé-je sans préambule, en colère contre moi-même.

— Bonjour à vous aussi, vous semblez d'excellente humeur, ironise-t-il, sans répondre à ma question.

Ce qui n'aide pas à me calmer, au contraire.

— Je suis toujours d'excellente humeur, inspecteur. Surtout quand je m'apprête à rendre une petite visite à mon ami journaliste, répliqué-je en feignant l'innocence.

Une légère attaque pour le remettre sur le droit chemin. Il fronce les sourcils, tout en me jetant un regard noir, bras croisés sur son torse. Il adopte une expression qui se veut menaçante, et qui fonctionne peut-être sur les suspects qu'il interroge, surtout avec les cicatrices qui lui donne un côté Bad cop, mais qui n'ont pas l'effet attendue en ce qui me concerne.

— Ce ne sera pas la peine.

Il me faut un moment pour saisir les mots, jouer avec eux pour en appréhender le sens exact.

Ce ne sera pas la peine.

La phrase tourne en boucle dans mon esprit. Et cette manière de le dire, avec une sincérité déconcertante.

Ma mauvaise humeur s'envole aussitôt, et le ton de ma voix s'adoucit quand je lui demande :

— Vous avez trouvé quelque chose ?

— Oui et non, répond-il, tout en lançant un coup d'œil autour de nous. Je préfèrerais ne pas en parler sur un trottoir en pleine rue.

Je pourrais lui dire de m'accompagner au Tim Horton, seulement, ce n'est pas le moment d'affronter à nouveau le serveur. Et surtout, je n'ai pas non plus envie d'avoir cette conversation en public. Ma sœur a le droit à l'intimité.

— Ok.

Après avoir taper le code d'entrée de mon immeuble, j'ouvre la porte du hall et l'invite à me suivre d'un signe de la tête. Et c'est dans un silence inconfortable qu'on grimpe les marches jusqu'à atteindre mon appartement au premier étage.

Je tourne la clé dans la serrure et dégage un passage avant de pénétrer à l'intérieur. L'inspecteur me suit jusqu'au salon. Il y a un peu de désordre, entre la tasse de café froide qui traîne sur le comptoir de la cuisine, l'ordinateur qui repose sur la table au milieu d'un amas de feuille et quelques vêtements qui sont bazardés sur une chaise. Les tâches ménagères ne sont pas ma priorité en ce moment, tout comme les dossiers clientèles qui s'accumulent.

Il n'y a pas à avoir honte, il a dû en voir d'autres lors de ses enquêtes.

... ou pas, rectifié-je, mentalement, en le voyant soulever un coussin sur le canapé pour s'installer et me tendre du bout des doigts un de mes soutien-gorge avec un sourire en coin.

Je lui arrache des mains et le roule en boule pour l'enfoncer dans ma poche, cachant mon malaise derrière un air peu aimable. Je ne lui propose même pas à boire. On pourrait me taxer de mauvaise hôtesse, mais nous ne sommes pas là pour prendre un thé et des petits biscuits.

Qu'il se dépêche de me révéler les informations qu'il a, c'est tout.

— Qu'est-ce que vous avez trouvé ? réitéré-je, une fois qu'il est assis.

— Thornel a demandé à la nouvelle légiste de reprendre le dossier de votre sœur, commence-t-il à m'expliquer.

— Et pourquoi aurait-il fait ça ? Il n'avait aucun intérêt à demander une nouvelle expertise médico-légale.

— Sauf s'il pensait pouvoir vous couper l'herbe sous le pied. En ayant un document officiel signé par un autre légiste qui, lui, n'avait rien à se reprocher, vous...

— ... n'aviez plus aucun moyen de pression pour rouvrir le dossier de ma sœur, terminé-je à sa place en comprenant le raisonnement.

Evidemment, vu comme ça, c'est logique.

— Seulement, voilà, la légiste a constaté des...

— ...erreurs.

— Incohérences, dirons-nous, me corrige-t-il, en appuyant expressément sur le mot. Et il se peut que...

— ... j'ai raison ?

— Vous coupez toujours la parole aux autres ?

— Vous tournez toujours autour du pot ? 

A l'ombre de sa mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant