Chapitre 4 1/2

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Faith

Je claque la portière de ma voiture dans un bruit sec faisant sursauter la vieille dame qui attend sur le trottoir de pouvoir traverser sans danger. En temps normal, je me serai excusé d'un regard en mimant un « désolé » avec mes lèvres. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Dès que le feu passe au rouge, elle traverse le passage piéton aussi vite que sa canne le lui permet.

Je n'avais pas réellement d'illusions sur mon entrevue improvisée avec le capitaine Thornel. En tout cas, c'est ce que j'ai essayé de me dire. Même si j'ai eu envie de foncer directement le confronter après ma découverte, j'ai pris le temps de réfléchir, de me poser pendant de longues minutes et de courtes heures. Parce qu'au fond, les différents scénarios finissaient toujours par des excuses et la réouverture du dossier d'Hope, un peu comme les contes de fées avec « Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ».

Qu'elle idiotie ! La vie est une merde ! La vie est une pourriture ! Ce n'est pas nouveau, je le sais pourtant.

Je secoue la tête, désabusée. D'après le mail, Poulman n'en était pas à sa première erreur à cause de son addiction, seulement, elles n'étaient pas suffisamment graves jusqu'à sa dernière affaire pour obliger ses supérieurs à le pousser à prendre sa retraite et à tout étouffer.

Comment ai-je pu envisager ne serait que l'idée qu'on allait m'écouter, accéder à ma requête sans opposer la moindre résistance ?

Qu'est-ce que j'ai pu être bête !

Thornel était au courant pour l'alcoolisme du médecin légiste, et même s'il a peut-être subi des pressions de sa hiérarchie, force est de constater qu'il n'a pas dû être difficile de le convaincre de garder cette histoire secrète. Et il ne semble pas prêt à remettre en question cette décision.

Il a les cartes en mains. C'est à son tour de jouer. Et au lieu de me venir en aide, je sais déjà qu'il va se contenter d'essayer de parer mon prochain coup, sans perdre trop de plumes au passage. C'est évident maintenant.

Alors quoi faire maintenant ?

Je n'ai pas vraiment le choix. Malgré mes menaces, mon intention n'a jamais été de révéler au grand jour leurs magouilles internes. Les conséquences pourraient être désastreuses. Tous les dossiers auquels à participé Poulman seraient susceptibles de se voir attaqués avec à la clé, une possible remise en liberté de certains coupables. Et d'un autre côté, combien d'erreurs a-t-il commises exactement ? Combien de personnes sont en prison à tort par sa faute ?

Stop, Faith !

Surtout n'y pense pas. Hope est la seule qui compte.

Je dois tout faire pour rendre justice en son nom, à défaut d'avoir réussi à la protéger. C'est ma petite sœur, ma lumière, ma...

C'était... C'était ma lumière.

Ma vie est tellement plus sombre depuis qu'elle n'est plus là pour l'éclairer de son sourire. Son merveilleux sourire.

Je ne dois pas reculer. Je n'ai pas le droit de reculer.

Mes doigts se posent sur la clé de contact et la tourne, mettant le moteur en route. Les bureaux du Orillia Matters se situent à quelques rues de là. Franck, le patron d'Hope, m'écoutera et m'aidera sans poser de questions. C'est lui qui a pris ma sœur sous son aile à son arrivée et qui lui a appris toutes les ficelles du métier. Et ce malgré le tempérament et la résistance d'Hope. Même si elle attirait les autres comme le sucre attire les abeilles, elle était du genre à ne pas laisser les gens s'approcher, à les refouler jusqu'à ce qu'ils craquent et abandonnent d'eux même. Elle n'accordait que rarement une chance et finissaient toujours par faire fuir les gens d'une manière ou d'une autre.

Je jette un coup d'œil dans mon rétroviseur, prête à m'engager, avant de suspendre mon geste. De l'autre côté de la rue, l'inspecteur Parker sort du bâtiment et enfonce la tête dans ses épaules sous la force de la rafale de vent qui l'agresse. Je tourne la tête et l'observe alors qu'il s'engouffre dans une berline noire avec précipitation.

Et si... ?

Sans réellement y réfléchir à deux fois, j'attends qu'il me dépasse et me faufile sur la route à sa suite, après avoir laissé un véhicule se mettre entre nous. C'est toujours ce qu'ils font dans les films policiers.

Pendant quelques minutes, les kilomètres défilent sans problème. La voiture longe les rues, les unes après les autres, en direction des quartiers nord de la ville. Le chauffeur préfère visiblement la circulation de la ville plutôt que le calme des routes qui encadrent le lac Couchiching. Il est vrai que les rues dégagent une atmosphère unique. Les artères principales sont bordées d'arbres majestueux, offrant une agréable sensation de fraîcheur et de tranquillité, surtout pendant les mois d'été, sans oublier ces vieux modèles de lampadaires. Inchangés au fil du temps et entretenus par la municipalité. La voiture avance, passe devant de nombreux magasins ou restaurants...

Cette excursion imprévue m'éloigne de mon objectif de départ, mais ça n'a pas d'importance. Si ce nouveau plan échoue, il me sera toujours possible de faire demi-tour. Ce n'est qu'un léger contretemps.

Les voitures qui me précèdent ralentissent en arrivant au feu rouge avant de s'arrêter, m'obligeant à les imiter.

Merde !

Le conducteur du monospace rouge actionne son clignotant de gauche au moment même où le vert lui donne l'autorisation de rouler à nouveau alors que l'inspecteur tourne à droite.

Je n'ai pas le choix, sinon je vais le perdre.

Prions pour qu'il soit trop occupé pour remarquer ma présence.

Au croisement suivant, la berline quitte l'artère principale pour s'engager dans une rue parallèle, celle qui mène à la zone commerciale.

Et s'il avait décidé de seulement s'octroyer une pause ?

Pendant un instant, l'idée de tout arrêter et de changer de stratégie m'effleure l'esprit. Cet endroit n'est pas le lieu idéal pour le prendre entre quatre yeux, même si ce serait simple d'attendre qu'il se pose à la terrasse d'un café pour me glisser sur la chaise d'en face.

Il est flic, il pourrait peut-être m'accuser d'harcèlement. Les témoins ne manqueraient pas.

Et puis ce n'est pas comme s'il allait cacher une preuve ou me mener à l'assassin d'Hope.

Alors que j'hésite encore entre me garer pour reprendre ma filature plus tard et abandonner pour reprendre le plan d'action d'origine, Parker continue sa route et dépasse le parking qui grouille de monde.

Il n'y a plus aucune raison de se poser des questions.

Les mains sur le volant, je tente de ne pas le perdre alors que les voitures s'insèrent les unes après les autres entre nous. Quand l'une d'entre d'elles me refusent la priorité et tentent de forcer le passage, je ne la laisse pas faire, récoltant au passage plusieurs coups de klaxons. Et même certainement des injures lancées à la volée et retenues par les fenêtres fermées.

Je me retiens d'adresser un doigt d'honneur au chauffeur à travers le rétroviseur et continue de rouler. Ce n'est pas le moment de risquer une altercation. Mon seul objectif est de garder les yeux rivés sur la voiture de l'inspecteur, qui d'ailleurs, tourne à gauche, se détachant du flot de véhicules.

Quelques secondes plus tard, c'est à mon tour, juste à temps pour le voir tourner une nouvelle fois à gauche quelques mètres plus loin. J'accélère un peu et m'engage à sa suite avant de freiner brusquement en apercevant la berline immobilisée au détour d'une ruelle dans une impasse.

Merde !

Il faut croire que la discrétion n'est pas mon fort. Ou qu'il est doué comme flic. 

A l'ombre de sa mortOù les histoires vivent. Découvrez maintenant