3- Phillie et Alan

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Phillie a pris l'habitude d'imaginer son visage, de tracer dans son esprit la forme de ses yeux et la spontanéité de son sourire.

Elle n'aurait pas dû.

Leur enfant aurait été le mélange parfait de lui et d'elle, surprenante harmonie et parfaite communion de leurs deux âmes pour en former une nouvelle, unique et miraculeuse.

Ce jour, elle l'a tant rêvé, souhaité ardemment. Le médecin leur a parlé d'alternatives. Elle a entendu l'information, mais son esprit refuse de l'intègrer, son corps la rejette.

Elle voulait tomber enceinte facilement comme ses copines, elle rêvait de porter son bébé, elle espérait que tout se déroule sans stress, sans inquiétude, sans larme, sans douleur.

Était-ce trop demander?

Cet enfant, elle ne l'aura jamais en elle, car son corps en a décidé autrement. Il ne grandira pas, lové dans son ventre. Elle ne le sentira pas bouger, donner des coups. Alan ne posera jamais la main sur son ventre pour le sentir, pour lui faire entendre sa voix grave et émue.

Comment accepter ce fait ? Tout est flou dans son esprit. Les explications qu'on lui donne tournent dans sa tête, mais elle ne les comprend pas totalement. Comment accepter que son être ne soit pas apte à créer la vie ? Comment envisager que leur amour si puissant et si sincère ne puisse pas être capable de perpétuer la vie, de permettre la continuité de leur tandem ?

Ce n'est pas seulement son corps à elle qui pose problème et qui la déçoit à ce point, son corps à lui n'a pas les ressources nécessaires non plus. Au moins, ils ne peuvent pas se rejeter la faute.

Ils ont tout fait, main dans la main. Et voilà qu'à deux, ils passent du bonheur au désastre. Ils ont décidé que cela ne les séparera pas, mais ce souhait sera-t-il réalisable ? Phillie a peur pour l'avenir, elle pleure intérieurement.

Plongée dans l'incompréhension la plus totale, elle reste immobile dans le couloir blafard du centre hospitalier.

Cela fait presque trois années qu'ils déambulent dans ces couloirs impersonnels. Ils les connaissent par cœur, ils se sentent comme à la maison.

Il y a quelques jours seulement, ceux-ci représentaient encore l'espoir. Mais depuis leur dernier rendez-vous, tout est différent. L'espoir s'est definitivement envolé.

Son ventre ne sera jamais gonflé et tendu. Jamais, elle ne pourra poser les mains sur son ventre arrondi.

Ne dit-on pas « ne jamais dire jamais » ? Elle pense soudain que cela ne s'applique pas à eux. Un puissant sentiment d'injustice l'envahit et l'étouffe.

Phillie n'a plus envie de faire un pas de plus dans ce couloir qu'elle déteste subitement. Pourtant, elle se doit d'avancer et de suivre son mari qui n'a même pas remarqué son immobilité.

Il erre tel un fantôme, sans réfléchir à sa destination. Elle le regarde marcher tel un zombie, pas à pas. Tant bien que mal, Alan tente de garder contenance. Y arrivera-t-il mieux qu'elle ?

Depuis tant d'années, ils désirent un enfant, mais ils ne l'auront pas. Ils devront réfléchir aux options proposées, ils devront faire un choix.

Jamais, elle ne sera enceinte.

Ce mot « jamais » la percute, elle le répète en boucle dans sa tête. Les questions la lacèrent, l'abattent. C'est un non-retour, une sortie sans issue.

Peut-être est-ce pour cela qu'elle ne veut pas passer la porte du centre hospitalier ? Pour ne pas valider ce verdict implacable.

« Jamais » résonne puissamment dans ses pensées et à cet instant, il semble résonner dans l'âme d'Alan qui se tourne lentement vers elle et qui lui tend spontanément la main.

-Tu viens ? murmure-t-il.

Il sourit avec nostalgie, lève un regard triste vers elle, mais il sourit malgré tout.

-On va y arriver, on va trouver une solution, dit Alan.

Ensemble, ils traverseront ces épreuves. Ensemble, ils continueront à avancer.

Ensemble, ils passeront la porte du centre hospitalier et celle-ci se refermera inévitablement derrière eux.











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