8- Jean-Baptiste

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  Il avait à peine décroché son diplôme qu'il avait été directement sélectionné pour ce poste. Il n'avait même pas dû postuler ailleurs.

Jamais rien n'avait été aussi facile.

Il avait commencé en bas de l'échelle, mais son côté travailleur et perfectionniste l'avait mené haut, toujours plus haut.

Jean-Baptiste avait assuré l'avenir de sa famille. Il n'avait jamais compté ses heures, se donner à fond chaque jour qui passe, travailler pour être en sécurité, pour ne manquer de rien.

Pour lui, c'était cela le bonheur : avoir une place en vue et bien rémunérée pour ne jamais être dans le besoin, pour ne rien se refuser, gâter ses enfants sans se préoccuper du montant de la facture.

Il avait réussi tout cela, il avait atteint ses objectifs sans aucune difficulté. Mais ce genre de sacrifice ne laisse pas beaucoup de place pour le reste.

Régulièrement, il tendait l'oreille, assis à son bureau, afin de s'assurer de la bonne ambiance qui régnait chez lui. Malheureusement, il prenait rarement part aux réjouissances. Trop de travail, trop souvent absent pour gagner de l'argent et pour réussir sa carrière.

Malgré son parcours parfait, il regarda sa vie autrement ce fameux jour où tout bascula brusquement.

Il fut licencié à l'aube de ses 57 ans.

Certes, il n'était plus aussi vif qu'avant. Parfois, les nouvelles technologies le dépassaient. Certes, il perdait un peu la mémoire et devait parfois s'arrêter quelques instants pour reprendre ses esprits, mais il se savait compétent. Il avait de l'expérience, pas vrai ?

Il était devenu le plus âgé de la boite. Le petit Jean-Baptiste n'existait plus depuis longtemps. Il se sentait quelquefois perdu au milieu de cette jeunesse si vive et si réactive. Pourtant, il se pensait apprécié et indispensable.

Il avait une telle expérience qu'il passait plusieurs heures à aider ses collègues, sans jamais se plaindre, ni faire de reproche.

Il avait réponse à tout et cela le rendait fier. Pourtant, sa présence était devenue superflue. Il l'avait bien compris.

Ce matin, sa précieuse carrière était tombée à la trappe. Ils n'avaient retenu que le négatif ; sa lenteur afin de manipuler le programme informatique, ses trous de mémoire, son besoin fréquent de se rendre aux toilettes, son habitude de boire neuf tasses de café sur la journée pour tenir le coup, son envie de s'endormir après le repas de midi.

Rien de positif n'était sorti de son entretien. Il était devenu lent et peu productif d'après eux, un poids mort pour la société.

Le constat le blessa et le brisa sur place, mais il ne trouva pas les mots pour se défendre.

Sans un sourire ni une parole encourageante, il quitta le bureau du directeur afin de rassembler ses affaires au plus vite.

Les regards surpris et curieux de ses anciens collègues le rassurèrent légèrement. Tout le monde parut choqué par son départ précipité.

Il ne fut pas autorisé à s'éterniser sur le plateau. 

Il quitta son bureau tout en jetant un rapide coup d'oeil à ceux qui étaient devenus de bons amis. Il eut l'occasion d'échanger un regard complice avec son collègue favori, un certain Sylvain qui lui sourit avec mélancolie.

Jean-Baptiste pénétra dans l'ascenseur, la tête vide, le cœur battant et le moral dans les chaussettes.

Il se sentit pitoyable.

Le peu d'honneur qu'il lui restait lui permit de garder la tête haute alors que les portes de l'ascenseur se refermèrent sur ses trente et un ans de carrière.

Une larme sillonna sa joue doucement.

Qu'allait-il faire maintenant ? Qu'allait-il devenir ?

Seul dans l'ascenseur, il se sentit submerger par les regrets en repensant à cette vie sacrifiée qu'il avait passée entre ces quatre murs.

Tout ce temps gâché pour en arriver là.

Lui qui pensait s'être assuré une fin de carrière confortable après tant de dévouement et de renoncement.

Il s'était lamentablement trompé.

Trente et un ans de sa vie à travailler avec tant de zèle et d'abnégation.

Trente et un ans de sa vie jetés aux ordures en quelques secondes.




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Pourquoi les prénoms Jean-Baptiste et Sylvain?

C'est un clin d'oeil à mon mari adoré Sylvain et à sa maman Simonne. Son papa s'appelait Jean-Baptiste. 

Dans cette nouvelle, seul le prénom est un clin d'oeil. L'histoire est une pure fiction qui ne concerne en rien un membre de ma famille.

Les méandres de nos viesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant