Sacha a neuf ans, une tignasse de cheveux noirs qui lui tombent dans les yeux et un sourire timide qu'il n'offre qu'à sa meilleure amie, assise fidèlement à ses côtés en classe.
Il savoure ses journées d'école, entouré par ses camarades, enveloppé par le regard chaleureux de la maîtresse.
Il aime apprendre, il aime écrire et compter, il se défoule dans la cour avec ses amis et révise sous l'arbre pour réussir ses interrogations.
Plus tard, il aimerait devenir un scientifique ou un chercheur. Il aime les sciences et les mathématiques.
Les jambes pendues dans le vide, perché sur sa grande chaise en bois, il écoute attentivement les leçons et espère cette journée éternelle. Il aime l'école, il s'y sent à l'abri.
Ce qu'il appréhende le plus : c'est l'approche de 16h où tout cet univers sécurisant et apaisant se dissipera soudainement.
Il aimerait rester dans l'établissement scolaire plus longtemps ou alors, il espèrerait que quelqu'un vienne le chercher à la grille, mais ça, il sait que ce ne sera jamais possible.
Il fixe l'aiguille trottiner le long de l'horloge et regrette de ne pas posséder un quelconque pouvoir magique pouvant stopper sa course effrénée.
La sonnette brise ce doux songe, il range ses affaires avec lenteur, traverse la grande cour, le souffle court, le sac à dos rebondissant sur ses reins. Il commence à avoir peur.
Pourtant, il aimerait ne pas appréhender ce moment. Il voudrait se sentir tranquillisé. Son cœur bat la chamade. L'anxiété monte doucement en lui.
Passant la grande barrière, il doit se concentrer et accélérer le pas. Le long du trottoir, il lance des regards inquiets, progressant vers l'arrêt de bus.
Va-t-il se faire voler ses affaires aujourd'hui, va-t-il être insulté par cette bande d'adolescents sans scrupule qui bouscule les moins de douze ans déambulant sans maman ou sans grand frère, va-t-il être menacé ou malmené ?
Sacha se poste derrière un arbre, serrant contre sa poitrine son argent pour payer le trajet en transport en commun.
Il se sait sans défense, perdu entre le vieux marronnier qui lui offre un semblant de protection.
Il guette, inspecte, la respiration saccadée, espérant voir le bus apparaître au plus vite. Cette torture semble infinie.
Ensuite, il aura droit à un répit d'une vingtaine de minutes, le temps du trajet jusqu'à son immeuble.
Il se voit déjà, tremblant, assis sur une banquette déchirée et sale, décomptant les minutes jusqu'à son prochain arrêt.
Il descendra d'un bond sur le trottoir, au pied de son immeuble vétuste puis il marchera rapidement tout en s'empêchant de courir pour ne pas attirer l'attention. Il restera discret, deviendra invisible.
Ensuite, Sacha franchira la porte d'entrée de son immeuble, faisant résonner ses bottines usées sur le carrelage.
Il ne tentera même pas d'appeler l'ascenseur, toujours en panne.
Le garçon se jettera sans aucune hésitation dans la cage d'escalier, gravissant quatre à quatre les marches des douze étages le menant jusqu'à son appartement.
Haletant, pris de vertiges, le ventre vide, il ne s'arrêtera pas une seconde pour reprendre son souffle. Il gravira les volées d'escaliers dans un rythme constant de terreur.
Il claquera avec soulagement la porte derrière lui, se retrouvant dans leur appartement taciturne.
Il allumera toutes les lampes pour estomper les ténèbres et essayera de refouler l'appréhension qui le tenaille.
Il fermera les tentures pour oublier la rue juste en bas, allumera la télévision pour briser la quiétude de l'appartement, à tout prix éradiquer ce silence angoissant et permettre au temps de s'écouler rapidement.
Il se blottira sur le canapé, sous une couverture moelleuse préparée avec soin par sa chère maman, espérant que minuit et quart ne tardera pas trop à sonner, heure vers laquelle elle rentrera de son travail, caissière à la supérette ouverte 24h sur 24h.
Maman reviendra pâle et exténuée, se demandant pourquoi elle doit subir cette vie injuste. Elle n'aura malheureusement pas de réponse à ses vaines questions.
Elle jettera un œil attristé sur son fils endormi dans le canapé et constatera qu'il n'aura rien avalé de mieux qu'un paquet de friandises.
Son fils se bute chaque jour à l'attendre, mais le sommeil est toujours le plus fort.
Elle voudrait lui offrir une vie meilleure. Elle voudrait être là pour lui lorsqu'il rentre de l'école. Elle aimerait tant être un peu jolie, comme avant. Gommer les cernes marquant son visage tiré, effacer les cheveux gris qui envahissent sa chevelure.
Elle voudrait tellement trouver le bonheur et se dire : plus jamais, nous ne serons malheureux.
Plus jamais, nous n'aurons peur du lendemain.
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Les méandres de nos vies
Ficción GeneralRecueil d'histoires courtes et de nouvelles. Tranches de vie. Bienvenue dans les méandres de nos vies. 4 juin 2024 : 1K