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Les jours suivants, Slavko prit ses précautions pour ne pas être suivi. Sa paranoïa avait redoublé d'intensité. Il n'empruntait plus le même chemin que d'habitude et modifiait son itinéraire chaque jour. Ses traqueurs avaient bien compris qu'il était inatteignable et en sécurité au sein du CEDT. Alors, il se débrouillait toujours pour sortir entouré aux heures de pointe, pour ensuite disparaître dans les bas-fonds de la Frontière. Quelle ironie du sort pour lui, l'asocial qui détestait la foule, car finalement il se retrouvait protégé par elle. 

Comment en était-il arrivé là ? L'épisode de la course poursuite lui laissait un goût amer dans la bouche. Il n'avait pas réussi à tirer des conclusions sur ce qu'il s'était passé, notamment sur l'intervention de Brand. Le vieil homme l'avait extirpé d'une chasse perdue d'avance, de façon volontaire qui plus est. « Pourquoi ? » Il avait retourné mille fois cette question dans sa tête, voulant absolument obtenir une réponse. Mais, parmi toutes celles qu'il avait mentalement formulées, aucune ne lui convenait. 

Aussi loin qu'il s'en souvienne, Slavko avait toujours dénigré les autres Collecteurs. Trois ans avaient passé et il ne s'était pas rendu à l'enterrement de Pytt, ni d'aucun autre. Dieu sait qu'ils ont été nombreux, pourtant. Slavko avait toujours tenu ses distances. Il ne s'était jamais impliqué. Et pour couronner le tout, il avait fait mordre la poussière à Max plus d'une fois. 

La thèse de la bonté d'âme était donc à écarter, en toute logique. Si le vieux Brand n'avait pas agi par charité, qu'attendait-il de lui ? Que croyait-il pouvoir réclamer ? Il ne devait pas ignorer que Slavko était pauvre, tout comme eux, sinon il ne s'embêterait pas à ramasser des déchets toxiques chaque jour. Rongé par toutes ces incertitudes, Slavko finit par craquer. Sa patience avait des limites. Demain, il parlerait au vieux Brand.

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Après une nuit adoucie par la Sérénité Céleste, Slavko subit le contrecoup de sa prise d'endorphines. Les paupières toutes collées, il fut contraint de se rincer le visage à l'eau. Ses yeux le piquèrent jusqu'à ce que sa cornée s'habitue aux impuretés. Il avait connu meilleur réveil. 

Sa gueule de bois médicamenteuse le rendait d'une humeur exécrable. A ses problèmes habituels s'ajoutaient l'incompréhensible Brand et il détestait cette nouvelle complication. Il retourna au CEDT en petites foulées, profitant de sa psychose pour se refaire une santé. Il avait appris de ses erreurs, puisqu'il prit soin de ralentir l'allure à l'arrivée du poste de contrôle. 

Un coup d'œil vers le ciel lui indiqua qu'il était en avance, mais peu importait. Le sang battant contre ses tempes, il eût un mal fou à ne bousculer aucun civil à l'extérieur. Au moins, il ne sera pas dérangé par les autres Collecteurs. Le sexagénaire était toujours le premier arrivé sur les lieux, presque comme s'il vivait sur place. Avec un peu de chance, il pourrait lui parler avant l'arrivée de Max et des autres. 

Slavko poussa violemment la porte du bloc 893. Le battant en métal s'ouvrit dans un grand fracas. Les bras croisés contre son ventre, Brand se reposait avant son service. Son menton touchait presque son torse -il l'aurait sûrement fait si la musculature rouillée du vieil homme l'avait permis. Les yeux clos, sa respiration était calme et régulière, un peu sifflante à cause de l'âge. Ce calme olympien déstabilisa le colosse. Il se serait attendu à un sursaut, un haussement de sourcils, ou une quelconque réaction de la part de Brand. A la place, ce fut le senior qui le prit de court.

— Je me d'mandais combien de temps ça te prendrait, pour venir me voir, dit-il d'une voix enrouée, mal réveillée. T'as été plus long que c'que j'imaginais.

Brand s'était bel est bien endormi profondément sur sa chaise. L'arrivée brutale de Slavko ne l'avait pas dérangé d'un poil. La main encore sur la poignée de la porte, un pied dedans et un autre dehors, Slavko resta immobile quelques secondes. La surprise passée, il foudroya du regard le vieillard grincheux. Il jeta son sac dans un coin de la pièce et écrasa ses mains gigantesques contre la table.

𝕃'𝔼ℂ𝕃𝔸𝕋 𝔻𝔼𝕊 𝕆𝕄𝔹ℝ𝔼𝕊Où les histoires vivent. Découvrez maintenant