Las de cette effervescence, Slavko bifurqua vers des ruelles moins fréquentées. Sur place sa destination serait désertique, valait mieux s'habituer au silence. Il continua de croiser quelques écrans, l'état de ces derniers se dégradait en chemin. Il s'éloignait de plus en plus du centre-ville et se dirigeait vers ce qu'il appelait « le vrai monde ».
Faire tourner une ville aussi grande et prospère que Néo-city, c'était du boulot. Tellement de boulot que les politiciens avaient préféré clôturer le périmètre, en guise de cache misère. La technologie, ça avait un prix et Néo-City coûtait très chère. Derrière les grands gratte-ciels, aux abords de la ville, des déchets toxiques s'entassaient et présentaient un risque potentiel pour la population. Slavko, en bon citoyen, se devait de ramasser une partie de ces détritus dix heures par jour. Il était payé trois CrediTech de l'heure. Demain, il pourrait se payer une bière à 27 CT au bar du coin.
Slavko approchait du premier check-point. Chaque personne qui franchissait le périmètre devait être identifiée et connue des forces de l'ordre, allez savoir pourquoi. Slavko retira sa capuche et dévoila une cicatrice boursoufflée sur son œil droit. Souvenir d'une autre vie. Le Guard casqué qui contrôlait les entrées lui fit signe de s'arrêter et Slavko s'exécuta.
Le bras armé du Guard palpa sa veste à la recherche d'armes. Le tissu électro-sensible n'apprécia pas ce contact et des fils mal branchés grésillèrent sous cet assaut. Des mois qu'il bricolait ce sweat à capuche mais rien à faire, il n'en faisait qu'à sa tête. Il n'avait pas vraiment les moyens d'en changer ou d'acheter le modèle au-dessus. Peut-être devrait-il se rendre au BlackNeon, finalement. Au centre-ville, tout était plus simple. Les habitants se fringuaient avec des tissus innovants, capables de s'ajuster à la température corporelle ou de changer de couleur, de texture. Il avait trouvé celle-ci pendant un nettoyage, puis il l'avait en partie retapé. Du moins, il essayait.
Il marcha encore quelques minutes, le nez vers le ciel. Bientôt l'air ne sera plus respirable. Ses jambes le guidèrent vers le CEDT -Centre d'Équipements contre les Déchets Toxiques- qui ressemblait davantage à un bâtiment de l'ancien temps, qu'à une bâtisse sécurisée et hermétique. Les murs extérieurs étaient noircis par la pollution, même si l'intérieur détonait par sa luminosité.
Passé la porte, Slavko plissa les yeux par habitude. Il dû se baisser plusieurs fois, sa taille dépassant la norme. Le quartier d'habillement se trouvait dans l'aile gauche du bâtiment. Il y régnait une odeur putride de transpiration, de poussière et parfois de déjections humaines. Certains nouveaux n'étaient pas préparés à ce qu'ils devaient ramasser dehors. C'était parfois aussi le cas des anciens.
Slavko poussa la porte du quartier 893 et y retrouva quelques collègues. Attablés prêts des casiers, les autres Collecteurs tiraient une tête de trois pieds de long. Le plus vieux, Brand, sirotait une boisson noirâtre. Slavko devina la gnôle rien qu'à l'odeur. Il reconnu Max debout prêt d'une fenêtre condamnée, les poings serrés. Il était le plus nerveux du groupe, celui dont il fallait se méfier. Les deux hommes avaient récemment adopté une jeune recrue à leur joyeuse bande, un gringalet du nom de Carter. Celui-ci fixait sa manche de protection comme s'il essayait d'en comprendre la consistance, perdu dans ses pensées. La quatrième chaise autour de la table était vide.
Max se retourna au son de ses pas. Il lui jeta un regard mauvais. Slavko ne daigna pas lui répondre. Il ne lui décrochera pas une œillade, surtout connaissant le tempérament impulsif du rouquin. Il se dirigea vers son casier d'un pas tranquille et ne posa aucune question concernant cette chaise vide. Il ne les connaissait pas personnellement et honnêtement, il n'avait que faire de leurs problèmes existentiels. Slavko avait bien d'autres choses en tête et aider les autres n'avait jamais été dans ses priorités. Lui, il était plutôt du genre à détruire.
Comme une bombe à retardement, Max explosa et son pied vint heurter la rangée de casiers. Slavko fut agacé par le bruit métallique qui s'en suivit.
— Putain de boulot à la con ! Nous on crève en dehors de ces murs pour que quoi ? Pour que tous ces petits Saigneurs ne s'inquiètent pas de vivre ?
Le bagou de la Frontière hérissa les poils de Slavko. Il songea à ce que Max venait de dire. Les Saigneurs. C'était comme ça qu'il appelait les habitants du centre-ville. Selon Max, les habitants du cœur de Néo-City tiraient profit du travail et des efforts des autres. Slavko avait déjà entendu ce surnom une ou deux fois, notamment dans les bars près de la frontière. Brand se désinfecta la gorge avec sa gnôle infecte.
— Calme-toi, petit. Garde ton énergie pour dehors, le prévint-il.
Ces quelques paroles ne semblèrent pas apaiser Max. Au contraire, il tournait dans la pièce comme un lion en cage. Pendant ce temps, Slavko fit de son mieux pour les ignorer. Il commença à s'équiper sans un mot, le frottement de ses vêtements en guise de seule réponse. Ce détachement eût le don d'irriter Max, qui arrêta sa marche furieuse pour se tourner vers lui.
— Et toi, tu dis rien ? Ca m'aurait étonné ! Nous ne sommes pas d'assez bonne compagnie pour qu'tu nous tapes la causette, le Serpent ?
Slavko enfila son pull anticontamination. Le tissu dévoila un bref instant les écailles d'un serpent tatoué. Quel surnom original. Faisant mine de n'avoir rien entendu, il plongea sa main dans son casier pour attraper son cache-cou. Il s'enferma dans son mutisme habituel, ce qui, comme d'habitude, fit sortir Max de ses gonds. Le rouquin pointa un doigt bosselé vers lui.
— Est-ce que t'avais au moins remarqué que Pytt était mort ? Ou t'étais trop occupé sur ta p'tite personne ? dit-il avec un sanglot dans la voix. C'était notre pote, merde !
— Ton pote. Pas le mien.
Les mots étaient sortis tous seuls. Slavko poussa un soupir, sachant très bien comment Max allait réagir. Un éclair roux lui fonça dessus dans un grognement sourd. L'instant d'après, Max était au sol, le visage écrasé contre le bitume crasseux. La poigne de Slavko maintenait son bras sous un angle disgracieux. Impassible, le visage du colosse restait de marbre. Il avait l'avantage sur lui niveau taille et force, sans compter son expérience. Le vieux Brand continua de siroter son verre.
— Je t'avais bien dit de garder ta force pour dehors.
Seul Carter semblait être paniqué par la situation. Il s'était levé de son siège et Slavko pouvait deviner les tremblements de son corps sous sa combinaison. Avec un soupir, il relâcha sa prise sur Max et secoua la poussière de son pantalon. Le rouquin trembla de colère et se releva l'instant d'après. D'un geste rageur il étala la crasse qu'il avait sur la joue. Slavko le regarda faire, intrigué. Après la colère, venait toujours l'incompréhension. Max darda son regard endeuillé sur lui.
— Ça fait trois ans que tu bosses avec nous, mec, argumenta Max, le visage grave. Pytt était un frère.
L'échine baissée, le Collecteur s'affala sur une des chaises libres. Trois ans. Slavko n'avait pas conscience que sa situation s'était éternisée. Son but avait été de changer de vie et de disparaître de la circulation. Objectif réussi, visiblement. Mais pour combien de temps ? Combien de temps avant que quelqu'un ne lui mette la main dessus ? Être en cavale, ce n'était définitivement pas son truc.
Sa paume anormalement large attrapa son masque de protection. Il l'avait secrètement retapé pour que les fibres stoppent les molécules les plus dangereuses. Il aurait pu le faire pour les autres mais le ratio de temps et d'énergie dépensés ne valait pas le coup. Il serra la sangle derrière son crâne et quitta la pièce. Toujours sans un mot.
VOUS LISEZ
𝕃'𝔼ℂ𝕃𝔸𝕋 𝔻𝔼𝕊 𝕆𝕄𝔹ℝ𝔼𝕊
Ciencia Ficción𝕋 𝔼 ℝ ℝ 𝔼 𒈝 𝟛 𝟘 𝟙 𝟚 En l'an 3012, la Terre n'est plus que l'ombre d'elle-même, épuisée par des siècles de surexploitation et de négligence environnementale. La famine, les radiations et le chaos ont rongé la surface du globe. Pourtant, ce fu...