3.2 Les règles du date

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Un peu comme le message qui avait organisé cette sortie à Evenfort, je ne sais plus trop comment, mais moi et Perséphone nous étions seuls, dans les rues du village à nous balader
comme un jeune couple. Quoique le mot « couple » n'était pas le plus approprié. Je voyais bien que malgré notre rapprochement amical évident, elle conservait une certaine distance
entre nous. Je pouvais difficilement lui en vouloir d'être comme ça avec moi.

Il faut croire que de nous deux, j'étais le moins rationnel. J'agissais comme si, il y avait un lendemain à notre histoire, alors... que la vérité était tout autre. Mais ça, allait le dire à mon
cœur.

Notre groupe s'était divisé assez facilement. Chacun avait son
programme à Evenfort. Certains avaient pris le chemin de l'unique cinéma du village et d'autres de rues plus petites. Il avait été convenu que moi et Perséphone, on retrouverait Nate et Gloria devant le cinéma quand on aurait finis notre promenade.

— Je n'avais jamais remarqué que c'était comme ça, ici, dit-elle lorsque nous passâmes devant une rue marchande.

— Comme quoi ? lui demandé-je les mains dans les poches de ma veste en cuir.

— L'Automne est beau ici. Mais ça ne deviendra pas ma saison favorite pour autant, renchérit-elle en m'envoyant une œillade appuyée.

J'émis un rire désabusé. Cette pique était une réponse à notre débat d'il y a quelques jours. J'avais tenté de la convertir désespérément, mais elle maintenait que le Printemps était sa
saison préférée et le resterait. J'aurais essayé...

— C'est pas si mal l'Automne, la relancé-je. Il y a quelque chose de beau et triste. Un peu comme une musique classique.

— J'ai hâte de voir l'Automne à Paris.

Cela ne dura qu'un instant, mais je sentis qu'elle s'en voulait d'avoir prononcé cette phrase. Et la façon dont elle regardait les dalles de la rue, croisant soudainement ses bras sur son pull brun à col Claudine blanc. Son air pincé, me montrait que je n'étais pas loin de la vérité. Paris
pour elle et Amsterdam pour moi...

Une si belle amitié et le si bon commencement d'autre chose... Et pourtant... Un jour, nous devrons dire au revoir à tout ça. Cela équivalait à presque un deuil pour moi. La mort,
l'abandon, la pluie... l'Automne ne me parut plus aussi beau que ça.

— Pardon d'avoir dit ça.

— Tu as le droit d'avoir envie de voir Paris. C'est une belle ville, dis-je avec sincérité et un minimum d'entrain.

Mais je sentais que c'était faux. Elle devait avoir perçu le soupçon de tristesse dans ma voix qui effaçait toute ma bonne volonté.

On s'était arrêté quasiment en plein milieu du trottoir simultanément. Chose qui aurait été impossible à Londres, où on se serait sûrement heurté à d'autres passants. Mais ici, aucun risque. Peu de voitures, peu d'habitants, beaucoup de verdure. L'atmosphère idéale quand on
voulait couper son adolescent de toutes les tentations de ce monde.

— Tu sais, commença-t-elle en me regardant franchement.

Et comme à chaque fois que ce rare contact visuel entre nous était possible, je ne pouvais m'empêcher de la détailler sur toutes les coutures. Comme un sculpteur devant une statue à peine réelle. Je priais intérieurement qu'elle ne se rende compte de rien ou juste un peu, pour
qu'elle y décèle que je tenais à elle... beaucoup à elle.

Le temps que je la regarde, le temps que la suite de sa phrase vienne, les mots moururent sur ses lèvres et elle baissa les paupières et ses yeux bruns fixèrent un point sur sa gauche. Je me
retournais et découvris l'objet de ses désirs : une librairie.

Un temps pour t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant