4. « C'est quoi cette sensation ? »

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Perséphone

J'ai toujours aimé Noël. C'est ma fête préférée devant mon anniversaire. Elle avait le don de rendre ma ville natale plus belle qu'elle ne l'était déjà. Les rues vides d'habitude se remplissaient de décorations lumineuses qui les égayaient dès dix-neuf heures.

Les boutiques se passaient le mot pour mettre en œuvre leurs meilleures stratégies marketing, rivalisant de couleurs, de paillettes, d'animations et de déguisements pour les vendeurs.

Le froid établissait domicile dans cette petite ville du sud de la France et il devenait difficile à éviter ou à contrer à coup de manteau, d'écharpe, de bonnet et de gants. On avait plus d'autres solutions que de trouver refuge dans tous les lieux où l'on peut être sûr de trouver de quoi se réchauffer.

Un salon de thé à quelques lieux de la place incontournable de la ville. Un cinéma où les films en tête d'affiche promettaient de passer un bon moment en famille, entre amis, en solo ou en couple. Et les restaurants habituels dont la réputation n'était plus à faire ou à refaire, qui jouaient le jeu de Noël et de l'hiver en décorant leurs vitres de fausses neiges.

Cela faisait trois ans que j'avais quitté le système scolaire français pour intégrer Rosenward School dont je ne connaissais rien à l'époque. Mais ces trois ans n'avaient pas ternis mes
rapports d'amitiés avec mon groupe d'amis. Et comme d'habitude, lorsque je revenais en France pour la période des fêtes, nous trouvions le moyen de nous revoir au moins une fois, avant que nos parents nous sollicitent pour les fêtes de fin d'année.

Le programme était généralement le même. Une activité et un «restaurant». Restaurant qui très souvent se traduisait par un fast food, car on ne change pas une équipe qui gagne : efficacité, nostalgie, facilité et économie.

Étant donné la saison et la période, aller à la patinoire temporaire installée momentanément sur la plus grande place de la ville prisée des citadins et des touristes était la meilleure initiative. Pour couronner le tout, se réchauffer avec un chocolat chaud servit dans des gobelets en papier au coloris de Noël venant tout droit du coffee shop à l'effigie la plus
connue.

Mais pendant tout ce temps en présence de mes camarades, mes amis pour la plupart depuis le collège ou parfois depuis l'école primaire, je ne me sentais pas comme d'habitude.

Ce matin, en me préparant pour ce programme, sortant de mon lit et découvrant ou plutôt redécouvrant la vue depuis ma chambre d'adolescente, une pensée étrange m'avait traversé l'esprit : « Qu'est-ce qu'il fait ? ». Et aussitôt, j'eus l'impression qu'on pinçait mon cœur
accompagné d'une certaine chaleur.
C'était à la fois désagréable et agréable.

C'est quoi cette sensation ?

Je n'y avais pas prêtée plus attention et j'avais poursuivi ma journée.

À la patinoire, on avait pu se rendre compte que Juliette était plus casse-cou qu'on ne l'imaginait et rigoler des multiples chutes de Nathan suivit par son jumeau. Je ne pensais pas à grand-chose à ce moment, puis il y a eu ce couple. La fille tentait d'aider son copain à tenir
droit sur des patins, le prenant par la main, le rassurant, rigolant. Leurs regards. Leur complicité... Est-ce qu'Amir savait patiner ? Est-ce qu'il aimait ça ? La même sensation que
ce matin, s'était de nouveau nichée dans mon ventre.

C'est quoi cette sensation ?

Un simple appel de mes amis avait suffi à me rappeler à l'ordre tout comme le message de mon père qui me demandait si tout se passait bien. J'affichais un sourire de façade.

Sur le trajet pour nous rendre au coffee shop, mes doigts me brûlaient. Et à force de résister sans trouver de réels arguments pour m'empêcher de faire ce que je comptais faire, j'allais
chercher mon smartphone et tapais sur l'icône du réseau social où j'étais sûre de pouvoir le voir. La même sensation se renouvela. Cette chaleur et cette douleur à la fois.

Je n'avais pas besoin de regarder ses publications ou ses stories, sa simple photo de profil me suffisait. Mais en la voyant, là où je croyais pouvoir trouver le moyen de soulager cette
sensation, elle redoubla.

Objectivement, sa photo de profil n'était même pas jolie. Il portait des lunettes de soleil et faisait une grimace bizarre.

— Hey, Persie, tu es avec nous ? m'invectiva Lucy en bougeant ses mains devant mes yeux.

Je ne m'étais même pas rendu compte qu'on était assis dans le coffee shop, que j'avais enlevé mon manteau et que Nathan attendait au comptoir nos commandes : six chocolats chauds.

— Tu es dans la lune depuis ce matin, ça va ?

— Ouais, ouais, rassuré-je en vitesse, en verrouillant mon portable, posant son écran face contre table, laissant la coque bien en évidence. Ça va.

— Hum, fit-elle peu convaincue.

— On parlait de quoi ? demandé-je pour me rattraper.

— De notre ennuyeux bac blanc de la rentrée, la plaie ! bouda le jumeau de Nathan.

— Pour les math, on va y aller au talent, maugréa Juliette.

— Ce sera plutôt pour l'Histoire, pour moi.

— Tu crois que si j'ai 20 en sport, je peux me permettre d'avoir 5 en Physique chimie ?

Et le sujet du bac devint notre principal sujet de conversation avant que finalement, Nathan n'arrive avec nos boissons. L'heure fut à la détente et d'autres sujets de conversation fusèrent : ce qu'on allait faire du reste de nos vacances, notre prochaine sortie de groupe, nos études supérieures, notre liste de Noël, les nouvelles du lycée, ce que nos anciens camarades de classe étaient devenus.

Je faisais comme si j'arrivais à me concentrer sur la conversation et que toutes ces choses m'intéressaient, mais en vérité, je ne pensais qu'à une personne : Amir.

Plus violente encore, la sensation revint en force, mais associée à ses yeux, son sourire, sa voix, le souvenir que j'avais de son parfum.

Bon sang, mais qu'est-ce que j'ai ?!

Mon portable vibra sur la table et comme un réflexe pour me donner contenance, je le pris m'attendant à trouver un message de mes parents ou de ma sœur. Rien de cela, une
notification du réseau social avec un message d'Amir.

Dans une urgence, je déverrouillais l'écran et avide, regardais le contenu du message. C'était une vidéo où l'on pouvait voir la neige tomber sur une rue de Londres avec en musique de
fond, choisi par son expéditeur All I Want for Christmas de Mariah Carey. En message :

𝙷𝚎𝚞𝚛𝚎𝚞𝚜𝚎 ?

𝙹𝚎 𝚜𝚊𝚒𝚜 𝚚𝚞𝚎 𝚌𝚎 𝚗'𝚎𝚜𝚝 𝚙𝚊𝚜 𝚎𝚗 𝙵𝚛𝚊𝚗𝚌𝚎, 𝚖𝚊𝚒𝚜 𝚓'𝚊𝚒 𝚙𝚎𝚗𝚜𝚎́ 𝚚𝚞𝚎 𝚌̧𝚊 𝚝𝚎 𝚏𝚎𝚛𝚊𝚒𝚝 𝚙𝚕𝚊𝚒𝚜𝚒𝚛.

Il n'avait pas oublié ce que je lui avais dit sur la neige.

La sensation était toujours là, mais une douce chaleur m'envahit, et je ne pus m'empêcher de sourire.

Les mots « j'ai pensé que ça te ferait plaisir » revenaient en boucle sur ma rétine.

Il pensait à moi.

Il pensait à moi.

Il pensait à moi.

— Les gars, appelé-je en quittant des yeux mon smartphone. Comment on sait qu'on est amoureux ?

Un temps pour t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant