AmirL'Automne. On dit que c'est la saison où il faut laisser les choses partir. Pourtant, nous étions en Été et c'est exactement ce que je devais faire, alors que je n'en avais absolument pas envie.
Ma chambre à l'internat avait été mon refuge, mon univers et je devais la laisser derrière moi. Aujourd'hui, tandis que la fanfare de l'école jouait bruyamment à l'extérieur, que les
élèves vidaient ce qui leur avait servi de foyer, de pièce d'étude, de première expérience loin des parents, dans les rires, les cartons, les pleures, moi, je n'avais qu'une idée en tête. Qu'une personne en tête.Je pris le temps de m'asseoir sur le matelas dénudé, dans ma tenue de ville, ce qui me paraissait presque un outrage à l'établissement. Depuis quelques jours, j'étais devenu officiellement un étudiant d'Amsterdam. L'envie de remettre mon uniforme qui dormait dans l'une de mes valises monta furieusement en moi.
J'espérais qu'en sentant la cravate bleue m'enserrer le coup, j'allais aussitôt redevenir pensionnaire à Rosenward School et que ce « au revoir » ne serait plus nécessaire.
Un peu comme la corne magique de la reine Susan qui permettait de rappeler le passé. Mais même si on était en Angleterre, nous n'étions pas à Narnia. Ces temps ne reviendraient pas, je vivais l'instant présent. Le passé était écrit et maintenant, un nouveau chemin se dessinait devant moi.
— Amir ?
Je le relevais la tête sur Perséphone. L'uniforme lui allait bien, mais sa tenue de ville ou plutôt de nouvelle étudiante parisienne, lui allait à ravir. Une robe à bretelles à carreaux sur
un tee-shirt blanc et des mocassins noires avec des chaussettes montantes blanche qui rappelaient le style écolière. Ses tresses attachées en une seule et unique tresse lâche derrière son dos.— On m'a dit que tu étais là, dit-elle simplement pour introduire nos « au revoir ».
Ce moment que nous redoutions tous les deux... Elle restait dans l'encadrement de la chambre légèrement appuyée contre la chambranle de la porte. On aurait pu rêver mieux pour une pièce d'adieu, mais... on avait rien à craindre, notre intimité serait sauf.
Il n'y avait quasiment personne du côté est. Et les règles avaient été abolis donc les filles pouvaient facilement se balader dans l'aile des garçons et vice-versa sans craindre de représailles... Exceptés pour ceux dont les parents attendaient le retour dans la cour extérieure de l'internat et ne toléraient pas ce genre de comportement. Et je sais que c'était le cas des parents de Perséphone.
Ils devaient l'attendre en bas. Donc elle n'avait pas beaucoup de temps, devant elle et moi non plus...
Malgré cette urgence, nous restâmes là, face à face à ne rien dire. Je m'étais levé et avais avancé de quelques pas pour me rapprocher d'elle, mais pas plus. Cette proximité me réconfortait autant qu'elle m'attristait, car elle annonçait les prémices de la fin. À ma grande surprise, c'est elle qui rompit le silence.
— Tu sais, commença-t-elle en se tordant quelque peu sur place. On a déjà parlé de cette histoire de distance... mais rien ne nous empêche de continuer à se parler. En tout cas, moi, je ne suis pas contre. Donc si tu m'envoies un message, je te répondrai.
— Pareil pour moi.
Silence.
— Tu es sûre qu'il n'y a pas moyen de changer d'école pour venir à Paris ? jeta-t-elle pour plaisanter.
Je lui fis non de la tête.
— Et toi pour Amsterdam ?
— Non plus, me découragea-t-elle.
Cet échange nous dérida, mais ne nous apaisa pas.
Je le sentais.
D'habitude, j'avais toujours quelque chose à lui dire : un mot, une remarque, le mot pour rire et là... le néant. Un seul mot traversait mon esprit et parasitait tout l'instant présent. Au lieu de rester là comme un piquet à attendre un miracle ou je ne sais pas trop quoi, je devrais lui
dire tout ce que j'avais sur le cœur.Que je l'aimais.
Pas comme un béguin adolescent comme dirait ma mère, mais réellement. Comme on n'aimera jamais. Que me séparer d'elle était une torture. Que j'avais besoin de capturer chaque moment de l'année qui s'était écoulée avec elle. Je regrettais de ne pas avoir été plus
audacieux pour passer davantage de temps avec elle. Mais...Tout ces sentiments, ces émotions mourraient en moi. La tristesse l'emportait et me rendait incapable de révéler les profondeurs de mon âme.
À ses gestes à la porte, je m'aperçus bien vite qu'elle partirait d'une seconde à l'autre. Il fallait que...
— Habibi, murmuré-je.
Elle m'avait entendu.
– Est-ce que... je peux te serrer dans mes bras ? Je ne vais rien te faire, hein, rassuré-je. Je... Je ne sais pas quoi dire ou quoi faire d'autres, avoué-je piteusement. Je n'aime pas dire...
Nul besoin de continuer. Un regard d'elle et je compris qu'elle saisissait parfaitement. Alors, ses mocassins se décolèrent du plancher et le bruit de ses pas arrivant dans ma direction se fit entendre sur le parquet de la chambre.
Avant que je n'ai pu calculer quoi que ce soit, elle était dans mes bras. D'abord surpris, je restais aussi stoïque que le David de Michel Ange. Puis, comprenant ce qu'il se passait, pas dans ma tête, pas dans mes rêves, mais là maintenant dans le présent, je l'étreignis en retour.
Doucement, comme la créature la plus précieuse au monde. Sa tête en dessous de mon menton, son parfum floral emplissant mes narines avec délice, ses bras m'enlaçant, le silence, mais seulement en apparence.
J'avais l'impression qu'un violon s'était mis à jouer dans la pièce rendant l'instant mémorable, comme une valse à peine entamée. Une marque d'amour qui n'avait pas eu le temps de pleinement s'exprimer entre les murs de l'internat. Une occasion unique qui ne se présenterait pas de sitôt. J'aurais voulu que cela dure une éternité. La sentir me serrer davantage contre elle, m'émeut plus que je ne le pensais.
Elle tenait à moi, réellement.
Habibi.
Je fermais les yeux savourant les quelques secondes qui nous étaient données avant le départ.
Puis... le temps arriva.
Elle se détacha, me regarda les yeux humides et s'en alla.
Nul besoin de dire au revoir après cela. Tout avait été dit dans cette étreinte qui avait été plus sincère qu'un baiser d'adieu.
On était en Été, mais mon être tout entier était en Automne. Se souviendrait-elle de moi comme le garçon de l'internat ? Pleurait-elle en ce moment ? En réalité ces questions
n'avaient que pour but de meubler mon esprit pour éviter de faire face au vide que je ressentais au plus profond de moi.Je me sentais vide, lourd, comme si l'Été avait perdu son soleil, les fleurs leurs pétales, les arbres leurs feuilles et leurs fruits.
— Et pour vous, monsieur El Hassan. Qu'est-ce que c'est l'amour ?
— Rien d'important, je suppose.
J'avais eu tout faux ce jour-là.
L'amour est plus qu'important.
Il est essentiel.
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Un temps pour t'aimer
RomanceÀ Rosenward School, prestigieux internat du Pays de Galles, Amir, adolescent de dix-sept ans, a des idées bien arrêtées sur l'amour. C'est une thématique, utile pour composer des chansons de poète mélancolique à la guitare, mais rien de plus ou de m...