10. Le mal de lui

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Perséphone

— Hey, Rachel ! Ça va ? Heu... C'est juste un message pour te dire que... Ouais, non. En fait... Heu... Tu sais, c'est... C'est par rapport au message d'hier, tu sais quand tu as dit...
Quand tu as demandé si il me manquait. Je t'ai dit que ça allait, que je n'avais pas le temps pour ça, que Paris était trop belle, que mes études étaient géniales et me prenaient beaucoup trop de temps. Entre les TD, les partiels du premier semestre qui ne vont pas tarder à pointer le bout de leur nez. Les soirées d'intégration auxquelles j'essaie d'échapper. Mon job étudiant providentiel. Bref, ma nouvelle vie de parisienne ne me donne pas le temps de penser à cette
partie de ma vie. Mais en vérité... J'arrête... Je n'ai pas été totalement honnête sur ce point...

Paris est une ville géniale qui offre bien plus que je ne le pensais. Bon soyons, honnête. Ça ne ressemble pas au Paris de Emily in Paris. C'est une ville, tout ce qui a de plus simple. Mais elle ne ressemble à aucune autre.

Il y a des rues que je n'emprunterais jamais seule et des quartiers où je ne veux surtout pas traîner. Je refuse de conduire dans Paris. Et prendre le RER tous les jours est quelque chose
d'assez fatiguant. Le prix du loyer est indécent pour le mètre que j'ai... mais malgré tout... ça a quelque chose d'assez agréable de vivre ici.

Il y a des moments où mon esprit sort de la monotonie du quotidien et là, je me dis : « Ouais, je suis à Paris ». Mine de rien, j'ai instauré des habitudes de « bobos parisiennes » comme tu dis. J'aime bien aller dans le café pas loin de ma chambre de bonne, me poser pour lire un livre ou boire leur latte à la vanille tout en écrivant, calée dans l'espace canapé. J'ai trouvé une librairie immense ! Et avec un café dedans. Mon petit appart est pas mal et avec la déco que j'ai rajouté, ça commence à donner quelque chose. Attends, c'est trop long, je te fais un
autre audio.

Ah et je crois que j'ai trouvé mon parc préféré. Les musées, les magasins, ce mélange de culture à chaque coin de rue. Les touristes qui te demandent leur chemin. J'ai pris goût à ce Paris. Un des trucs favoris que j'aime faire, c'est le vendredi soir, deux fois par mois, je me fais une infusion pomme cannelle et je vais sur le toit admirer la ville sous le soleil couchant. Et dans ces moments, j'ai l'impression d'être une de ces vieilles âmes qui observent la beauté de ce monde en constant changement.

Seulement... Il y a ces moments aussi dans mon quotidien parisien. Quand je prends en photo la Tour-Eiffel et que je vois pas loin une demande en mariage. Quand je me promène sur les bords de la Seine et qu'un couple passe devant moi, main dans la main, riant comme si il n'y avait que ça d'important. Ces moments où je suis devant un film et que j'entends cette
musique... sa musique. Je le revois la jouer, dans ce café qu'on avait découvert...

La dernière fois, je suis allée chez une pote de fac avec d'autres étudiants de notre promo. C'était censé être une soirée normale avec une bonne compagnie, de la musique, des chips,
des jeux de société et des bonbons. Vers le milieu de la soirée, les pizzas sont arrivées. Et... il y en avait une c'était, la... la pepperoni.

Tu dois me trouver bête de... d'être émue en parlant d'un mélange de farine, d'huile, d'eau, de fromage et de charcuterie, mais... cette pizza... C'est sa préférée. Il... il a une façon de la manger... il commence par prendre tout les bouts de pepperoni, puis il mange le reste. Et... Je sais pas... quand j'ai vu la pizza, je... tout est remonté d'un coup, comme dans un film accéléré. Et j'avais beau chercher à me réveiller, je... durant toute la soirée, ça ne faisait que me hanter. Il revenait en boucle dans mon esprit. Puis, il y a eu... sa chanson. Et je suis partie sans rien dire à personne. Je suis montée dans le Uber comme... je ne sais même pas comment. Et avant que je ne me rende compte de quoi que ce soit, j'étais en larmes dans mon studio, mon uniforme de Rosenward School entre les mains en train de murmurer entre deux sanglots son prénom.

Il me manque, Rachel. Tout me manque. Sa voix, le voir, la façon qu'il a de regarder dans le vide, comme un philosophe. Son sourire en coin quand il est gêné. L'entendre faire ses éternels commentaires sur les profs. Lui, tout simplement. Et ça me fait sentir encore plus stupide de savoir que c'est moi qui aie mis fin à tout ça. C'est moi qui du jour au lendemain
ai arrêté de lui parler. J'ai été lâche.
Je voulais mettre de la distance entre nous parce que j'en avais marre de savoir que j'aimais quelqu'un que je ne reverrais peut-être jamais de ma vie. J'ai arrêté petit à petit de lui
envoyer des messages et un jour... il a arrêté aussi. J'avais imaginé éprouver un peu plus de soulagement après ça, mais... à part une tristesse aussi profonde qu'un puits sans fond... il ne s'est rien passé de plus. Aucun soulagement, seulement des regrets et des « et si » qui sont toujours là d'ailleurs. Si j'avais continué, est-ce que c'est lui qui aurait arrêté ? Est-ce que ça aurait été moins dure qu'aujourd'hui ?

J'ai l'impression que... cette tristesse, cette émotion, ce vide ne partiront jamais. Qu'ils feront partie de moi. Plus d'une fois, j'ai voulu lui parler à nouveau. Mais je me suis désabonnée de son compte, pour être sûre de ne jamais être tentée de passer à l'acte pour de bon. Pourquoi voudrait-il avoir des nouvelles d'une fille qui l'a jeté sans préavis ? Qu'est-ce qu'on gagnerait à recommencer quand on est toujours à des kilomètres loin de l'autre pour une durée indéterminée ? Rien.

Alors, du coup... maintenant, il y a des jours ou ça va, des jours où je n'y pense pas. Des jours où la dernière année à Rosenward me revient comme une vie alternative. Puis, il y a ces jours où je n'ai qu'un désir, c'est de le voir, de remonter le temps, de revenir à cette soirée dans la bibliothèque. On ne s'était pas beaucoup parlé, mais j'avais eu l'impression d'être seul au monde avec lui. Je voudrais le réentendre le dire : Habibi. Juste une dernière fois.

Oula, désolée pour tout ces audios, ça sonne vraiment mélodramatique. Ne t'en fais pas pour moi, un jour ça ira, j'en suis sûre. Je dois être dans la première phase de la rupture. J'ai vu
une citation de Jamie Anderson qui dit que « Le chagrin, c'est l'amour qui ne peut plus être donné ». Peut-être que c'est ça la clé. Aujourd'hui, je me sens incapable de donner tout ce
que j'ai donné avec Amir. Mais un jour, ce sera possible. Je continuerai de croire en l'amour. Et je te promets qu'après une semaine à pleurer comme il faut, je m'en sortirai.

Ouais... je m'en sortirai.

Un temps pour t'aimerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant