Priel
Le silence régnait dans la chambre. Assis sur la seule chaise disponible, Margaret vidait la carafe de vin rouge apportée en début de soirée par une employée. Entre deux gorgées, il sifflotait les notes de l'hymne d'Ôton, une mélodie trainante, presque mélancolique, si belle entre ses lèvres. Il semblait ne pas prêter attention à Priel, allongé sur le matelas au centre de la pièce. Celui-ci n'esquissait pas le moindre geste, les yeux résolument tournés vers le plafond incliné. Il cherchait les défauts dans le bois, une ou deux fissures en peine, un éclat imparfait, quoi que ce fut qui aurait présenté un intérêt artistique. Mais tout, à l'exception de Margaret, paraissait à sa place.
Il se redressa et jeta un regard mauvais à l'assassin emmitouflé dans sa cape. Cet imbécile le narguait, avec sa résistance à la chaleur. Il avait beau entendre les ricochets de la pluie sur le pavé, il ne pouvait s'empêcher de suer comme un bœuf en plein champ.
« Tu veux boire avec moi ? dit Margaret en lui tendant un gobelet.
— La politesse n'est pas une option. »
Priel se rallongea. L'Été aurait sa peau, et ce ne serait que parce qu'un crétin de l'Automne l'aurait poussé à bout.
Il tourna le dos à son interlocuteur. Il ne trouvait pas la force de quitter la chambre qu'il lui avait louée pour retrouver la sienne, à l'autre bout du couloir. Ses jambes fatiguaient ; la promenade en forêt le matin-même les avait exténuées.
« Dois-je vous appeler monseigneur, pour m'adresser à vous ? »
La voix posée de Margaret tonna à son oreille. Un frisson parcourut son échine, si soudain qu'il n'eut pas le temps de comprendre qu'il avait mal. La douleur du sursaut s'estompait face à celle, sourde, qui perçait au fond de ses entrailles. Il croisa les iris blancs de l'homme, assis deux mètres plus loin.
« Ne m'appelle jamais comme ça, tu entends ? dit-il en crispant les poings autour du drap.
— Tu es terrifiant. »
Margaret écarta les bras, les mains ouvertes et le sourire aux lèvres. Ses yeux disparaissaient de nouveau derrière la capuche, mais s'il les avait vus, Priel y aurait certainement discerné la raillerie.
« Je ne me répèterai pas, dit-il en saisissant sa canne.
— Je ne vais pas te vouvoyer si tu n'es pas noble. J'ai dix automnes de plus que toi.
— Je n'ai pas la patience de supporter tes bêtises.
— Comment dois-je t'appeler, si monseigneur ne convient pas ?
— Ne m'appelle pas. Un sans-nom tel que toi ne le mérite pas.
— Tu te prends pour le richissime héritier perdu des Hiems, ou quoi ? Tu es puéril. »
Le claquement de son verre contre le bois de la table retentit. L'écho diffus se borna à empêcher le silence de s'installer, tandis que Priel pinçait les lèvres. Le sang battait à ses tempes. Ses jointures blanchissaient à mesure que sa poigne s'affermissait autour de la tête de serpent en argent.
« Redescends, chéri, dit Margaret en reprenant une gorgée d'alcool, les Hiems sont tous morts. J'ai passé les dernières années en prison mais je n'ignore pas tout du monde. Je sais comment les Crochemort ont intrigué, il y a dix ans, pour s'emparer du trône de l'Hiver. Si tu veux mon avis, la Marquise a bien fait de les exterminer. Ce n'était que de la vermine accrochée à ses préceptes. Plus personne ne voulait de ces rigoristes religieux, de nos jours.
— Je ne te paye pas pour ta langue. »
Les paroles glaciales fusèrent pour interrompre l'homme. Les muscles du visage de Priel se tendaient.
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L'Hiver hurlait à l'oreille du monde [Intégrale]
Fantasía𝐼𝑙 𝑣𝑖𝑣𝑎𝑖𝑡 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑜𝑢𝑏𝑙𝑖𝑒𝑟 𝑞𝑢'𝑖𝑙 é𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑚𝑜𝑟𝑡. La guerre déchire le Continent, détruit des familles, met à mal la paix qui avait perduré depuis des centaines d'années. Le jour où Priel perd tout, il pense mourir. Il n'a rien...