Priel
Priel fit irruption dans la chambre de son garde du corps. Celui-ci soupira lorsqu'il s'assit sur une chaise, et lui tourna le dos. Il enfilait des vêtements étroits incrustés de fils d'or – de l'or véritable, avait assuré la gérante de la boutique la plus huppée de la ville. Les muscles ressortaient sous sa peau fine, encore brunie par leur voyage sous le soleil. La semaine passée entre les murs du domaine du Baron n'avait pas altéré son bronzage.
Priel songea qu'il faudrait lui procurer des habits sans manches, pour exhiber ses bras.
« Qui est la dame du serpent ? » dit-il d'un ton raide.
Cette question le tourmentait depuis la veille, quand l'Aestas avait menacé Margaret. Il n'avait pas prêté attention à la teneur de leurs propos, si ce n'était que Margaret semblait dans de sérieux ennuis, mais l'évocation de la « dame du serpent » l'avait intrigué.
« Bonjour Priel, je vais bien, je vous remercie de vous en inquiéter, répondit Margaret, ironique. Bien dormi ?
— Non.
— Dommage. À cause de votre jambe ?
— Margaret.
— Ce n'est personne. »
Priel le fixa en haussant les sourcils. Pensait-il vraiment qu'il avalerait ça ?
« L'homme a parlé d'elle, hier. Elle est importante pour toi ?
— Pas elle. Celle qu'elle a engendrée, oui, dit l'homme en attachant sa boucle d'oreille.
— C'est ta fille ?
— Je pensais que ma vie personnelle ne vous intéressait pas.
— J'ai changé d'avis. »
Margaret esquissa un rictus moqueur.
« Vous devriez savoir que rien n'est gratuit, ici. »
Priel lui indiqua de poursuivre d'un geste du bras. Margaret se retourna et fouilla dans la boîte à bijoux.
« Je ne veux pas être ridicule tout seul, dit-il en dénichant une boucle d'oreille identique à la sienne. Portez ça avec moi et je répondrai à votre question. »
Priel claqua la langue. Il tendit la main en grimaçant et scruta le bijou incrusté d'un diamant bleu clair. Il appartenait à sa famille : la tradition hivernale voulait que l'on donnât une boucle à son amante, comme on offrirait une alliance. À Fülle, personne ne pensait à ça. On revendiquait ses serviteurs en leur attribuant des boucles sans réfléchir. Ou, peut-être, s'agissait-il de les asservir un peu plus. On leur dérobait leur mariage. Ils épousaient une profession indésirable, liés contre leur gré à un employeur despotique.
Priel l'avait cédée à Margaret pour lui éviter des contacts indésirables. Mais il n'ôtait pas de son esprit que si mère avait été là, elle l'aurait cru sur le point de se marier.
Le pendant était lourd à son oreille. Lourd d'un souvenir désagréable et de la pression familiale. La lettre l'enjoignait à garantir sa lignée. Quand bien même il n'y eût rien qui le liât à Margaret, il ressentit un pincement au cœur. Il trahissait les siens en feignant une relation stérile.
« J'ai rencontré Tanit le jour de mon arrivée à Fülle, dit Margaret en s'asseyant sur son matelas, l'air satisfait. J'avais vingt automnes, quelque chose comme ça. Je débarquais en ville et elle y a été ma première cliente.
— Quel type de cliente ?
— D'abord une cliente du corps. Elle était mariée depuis quelques mois et s'ennuyait. Nous nous sommes bien entendus. Elle venait d'ouvrir sa taverne, le Reptile rieur, et j'y passais mes soirées.
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L'Hiver hurlait à l'oreille du monde [Intégrale]
Fantasía𝐼𝑙 𝑣𝑖𝑣𝑎𝑖𝑡 𝑝𝑜𝑢𝑟 𝑜𝑢𝑏𝑙𝑖𝑒𝑟 𝑞𝑢'𝑖𝑙 é𝑡𝑎𝑖𝑡 𝑚𝑜𝑟𝑡. La guerre déchire le Continent, détruit des familles, met à mal la paix qui avait perduré depuis des centaines d'années. Le jour où Priel perd tout, il pense mourir. Il n'a rien...