𝟚 | Chapitre X - Celui qui s'appelait Lumière, 1/2

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Margaret

« Bien dormi ? »

Margaret entra dans la cabane. Priel se redressa dans son lit, les joues mangées par les cernes et les cheveux ébouriffés.

« Je n'en peux plus..., dit-il du bout des lèvres.

— Comment ça ? »

Il déposa le seau d'eau qu'il était allé chercher et scruta le jeune homme qui paraissait émerger de sa nuit. Tout son visage disparaissait derrière la fatigue. Il dégageait une sensation d'abandon. Le masque qui embrassait ses joues depuis le jour de leur rencontre, ce masque qui effaçait les émotions et la douleur derrière un revêtement lisse et méprisant, tombait en lambeaux. Il coulait dans son cou et s'étalait sur le lit dans une flaque de glace fondue. Sur les draps, déjà, se répandaient les résidus des mensonges dont s'habillait Priel.

« Il faut que ça s'arrête, Margaret », dit-il, les mains inertes de chaque côté de son corps.

Il ne tenait plus. Son souffle se précipitait dans sa gorge ; ses yeux s'égaraient dans la pièce, s'accrochaient à un coin de la pièce, fuyaient pour revenir à l'assassin sur le pas de la porte.

« Ta mère et toi devez trouver une solution... »

Sa respiration devenue erratique accéléra encore. De là où il était, Margaret pouvait voir les gouttes de sueur qui ruisselaient avec son masque de marbre. Il n'osait pas s'avancer, figé, stupéfait. Jamais le jeune homme n'avait paru si vulnérable. Même le jour du Solstice d'Hiver, le masque avait tenu bon sur ses pommettes.

Priel déglutit bruyamment. Ses doigts s'entortillèrent dans son drap.

« Elle s'est encore approchée, dit-il, chaque mot disparaissant dans ses tentatives éperdues de retenir le masque. Je ne peux pas la fuir...

— La femme en noir ? »

Il n'eut pas à attendre que le jeune homme acquiesçât pour savoir que c'était elle. C'était toujours elle. Nul autre ne pouvait déclencher l'horreur absolue qui irradiait dans les yeux sombres. Personne ne détenait un aussi grand pouvoir pour paralyser un homme vivant et malgré tout déjà mort.

Niamh seule avait les capacités de tuer un homme en vie.

Il ôta sa cape, l'accrocha au porte-manteaux. Le bruit de ses bottes résonna dans le silence de la pièce. Priel ne le quittait plus des yeux. Ses inspirations comblaient l'absence de paroles. De grands élans désespérés pour maîtriser ce qui ne se maîtrisait plus.

Margaret força un sourire. Le même sourire qu'enfilait sa mère, autrefois, quand un patient dans un état critique se présentait à elle. Ses commissures tremblèrent. Il n'était pas habitué à sourire. Encore moins à sourire pour de faux. Il lut dans le regard noyé par l'effroi de Priel qu'il n'avalait pas ce mensonge.

Son sourire retomba.

Il ne mentirait pas.

Il s'assit au bord du lit, toute l'attention de Priel rivée sur lui. Le matelas s'enfonça sous son poids et il se concentra de toutes ses forces sur la sensation du tissu contre sa paume. Tout plutôt que de penser à ces yeux qui criaient à l'aide, ces yeux qu'il avait juré de protéger et qu'il échouait encore à garder en sécurité. Des yeux brûlants de rage et irradiés d'horreur, un mélange déséquilibré où les ombres submergeaient. Des yeux envahis par un danger suintant, se faufilant quand on baissait sa garde, qui s'approchait sans hâte de sa destination finale.

La mort.

Les limbes d'où les ombres appelleraient un cadavre pour jouer encore avec lui.

Priel battit des paupières. Les yeux disparurent un fragment de seconde. Ils se rouvrirent sur le vide. Les ombres tournoyaient encore, étrangères. Pas les ombres de Priel ; celles de la femme en noir.

L'Hiver hurlait à l'oreille du monde [Intégrale]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant