𝟚 | Chapitre IV - Celui qui manquait d'une mère

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Priel

Margaret leva la main pour faire signe à Priel de s'arrêter. Après onze jours sur les routes poussiéreuses des monts Ôton, à errer d'un rocher à un autre – tous parfaitement semblables –, à dormir sous le ciel d'encre, le dos sur la caillasse et dans l'air venteux des montagnes, et à se voir privés du moindre bain, le périple infernal touchait à sa fin.

Une maisonnette misérable se dressait devant les deux hommes, faite d'un assemblage de planches, de clous et de terre. Quelques lieues plus loin, on apercevait les toits des habitations de Zindiq.

« Nous ne devions pas nous rendre dans un village ? dit Priel en fronçant le nez.

— Si.

— Tu as l'impression que ça, c'est un village ? »

Il imaginait sans mal le manque de confort de cette cabane. Une pièce centrale, un creux dans le toit pour évacuer la fumée. Un placard à balais pour parquer des bêtes de somme, pas pour abriter des êtres humains.

Margaret esquissa un sourire contrit qui lui valut un regard sombre.

« Je suis un noble, Margaret, dit le jeune homme en serrant les poings autour de la bride de Hevn. Pas un poney.

— Vous feriez un merveilleux poney, répondit l'assassin, railleur, en sautant à bas de sa monture. Peu efficace pour les travaux de ferme, ceci dit. Les paysans auraient tôt fait de vous découper pour nourrir leur famille pendant l'hiver. »

Priel ouvrit la bouche mais ne trouva rien à rétorquer. Aussi, il se contenta d'un énième coup d'œil agacé.

« Vous seriez un poney pour riches, ajouta Margaret, ils peuvent se permettre de garder des animaux inutiles s'ils sont beaux.

— Un compliment n'atténuera pas les insultes. »

L'homme ricana, les traits éclairés par un sourire.

Au même moment, une petite femme sortit de la maison, les mains pleines de plantes et les cheveux grisonnants enroulés en chignon. Elle fronça les sourcils en apercevant les deux hommes, retourna à l'intérieur et ressortit de nouveau, les mains vides cette fois. Le menton levé, elle ne prononça pas un mot et ne bougea pas davantage.

Les habitants de l'Automne étaient moins accueillants que ceux de l'Été. Cette rustre en était la preuve. Même au plus profond des terres brûlées, aucun rural, tout pauvre qu'il soit, ne se serait permis de dévisager aussi longtemps un noble sans lui proposer le gîte et le couvert. Certes, Priel avait besoin d'un bain. Et ses vêtements n'étaient guère reluisants. Mais nul ne pouvait penser qu'il n'était pas noble.

Une moins-que-rien s'arrogeait le droit de l'ignorer. Voilà qui devait être l'une des pires déchéances.

« Bonjour, maman. »

La voix de Margaret retentit, surréaliste. S'il n'avait été attaché à son cheval par des sangles, Priel serait tombé de sa selle. Secoué par une quinte de toux, il observa la réaction de la femme, le visage fermé, et celle de Margaret, l'air gêné. Un regard de l'assassin, pourtant, l'intima au sérieux.

Il lui ordonna de l'attendre et s'approcha de sa mère. Priel tendit l'oreille : il n'entendit rien d'autre que les murmures du vent au pied des montagnes, le bruissement des épines de pins et le chant des quelques oiseaux qui supportaient à l'hiver. L'hymne de la nature couvrait le bruit des paroles et l'empêchait d'assouvir sa curiosité.

La femme passa une main sur la joue de son fils. Au loin, le jeune homme apercevait les sillons qui ornaient sa peau bronzée par le soleil et les travaux d'extérieur. Sa main ridée caressait le visage de Margaret avec une infinie douceur.

L'Hiver hurlait à l'oreille du monde [Intégrale]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant