Chapitre 1 : Le Prince et l'Orpheline (première partie)

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"Les monstres que nous craignons sont parfois ceux que nous portons en nous."

Avachie sur mon siège comme une paysanne, je lutte pour garder les yeux ouverts, tandis que nous lisons Gloire au Roi Caius de Bastil Godik.

J'ai bien de la peine à rester éveillée. Non seulement parce que j'ai veillé jusqu'à l'aurore mais aussi et surtout parce que je ne connais rien de plus accablant et prétentieux qu'un ouvrage qui débute par "Gloire à..."

- Darnley ! la voix sèche et braillarde du professeur me surprend. Bathory ! Rendez-vous séant dans le bureau de l'instructeur Markens.

Je guette l'expression de Kyle. Il paraît aussi déconcerté que moi. Quelqu'un nous aurait-il surpris hier ? Nous avons pourtant fait preuve de la plus grande discrétion.

Sans un mot, nous nous levons et sortons de la salle de classe.

- Crois-tu qu'ils sont au courant ? je m'enquiers.

- Pour sûr, confirme-t-il. Sinon pour quoi nous convier ?

Ma gorge se noue. Bien que je sache que je ne courre pas un très grand danger et que je me sois déjà retrouvée dans ce bureau une douzaine de fois, j'appréhende toujours ce moment.

Nous ne prenons pas la peine de frapper et entrons, tête baissée dans ce bureau à présent si familier. Nous prenons nos places accoutumées sans avoir besoin d'y être inviter et attendons en silence que la tempête se déchaîne.

L'Instructeur, qui avait jusqu'ici le regard perdu dans le lointain et le nez collé à la fenêtre se tourne vers nous, l'air sévère.

- Vous avez enfreint le règlement, une fois encore, gronde-t-il.

Son ton grave et cassant est supposé nous effrayer mais il nous amuse plus qu'il ne nous intimide. Sans doute parce que nous y sommes désormais familiarisé.

Nous imitons souvent nos instructeurs lors de fêtes improvistes passées à plaisanter autour du feu de camp avec les autres apprentis soldats. C'est toujours agréable de se détendre après une dure et longue journée à travailler autant nos corps que nos esprits.

Je dois fournir un effort surhumain pour éviter le regard de mon ami, qui se tient droit comme un piquet, le menton relever. 

En tant que Prince, il doit se tenir droit et être un modèle de discipline pour les autres apprentis, ou du moins, c'est ce que ses royaux parents escomptent de lui.

En réalité, lui, le Prince Cadet, et moi, l'orpheline recueillie par le Général de guerre, sommes les apprentis soldats les plus turbulents de la Garde, au plus grand damne de nos supérieurs.

- Je devrais vous renvoyer, poursuit-il. 

Mais vous n'en ferez rien.

Les mots me brûlent les lèvres mais je ne voudrais pas aggraver notre cas en ajoutant au lot des reproches qu'on nous fait "insubordination".

Bien que nos parents soient les plus hauts gradés, nous ne sommes pas intouchables. On nous offre un traitement de faveur mais cela ne nous empêche pas d'être punis, bien que nos sanctions soient plus douces que celles de nos camarades.

- Vous devriez, appuie Kylorn avec un sourire moqueur.

Apparemment, Kyle a décidé de provoquer le Lieutenant-colonel Markens. Je me mords la joue pour ne pas éclater de rire, ce qui serait très mal venu, mais le regard furieux du Lieutenant-colonel finit, malgré toute ma bonne volonté, par me faire sourire.

Son teint passe d'un jaune cireux à un rouge cramoisi sous l'effet de la colère. Il abat soudain ses gros poings dodus sur le bureau, faisant trembler les tableaux et les bibelots accrochés aux murs.

- Ne soyez pas impertinents ! explose-t-il. Il suffit de votre comportement irresponsable et irrespectueux ! J'ai trop souvent fermer les yeux sur vos agissements !

Il ne peut pourtant rien contre nous.  Nous sommes libres, ou presque, depuis que nos parents nous ont placés ici, à la Garde, sur une île non loin du continent, où nous sommes formés pendant 10 ans afin de devenir des soldats.

La plupart des élèves présents ici sont des enfants abandonnés ou des jeunes criminels à qui on a offert une chance de se racheter.

Aucune personne saine d'esprit ne voudrait poser un pied ici, parmi tout ces brigands et ces orphelins, encore moins les parents de Kyle. Les seuls figures d'autorité présentes sont nos instructeurs, mais comment faire respecter les règles quand ils ne peuvent sanctionner ni moi ni mon complice ?

Ils ne peuvent pas nous renvoyer comme les autres élèves, en vue du statut de nos parents, et ils ne peuvent pas non plus appliquer un châtiment de chair. Nos parents ne souffriraient pas qu'ils nous infligent la moindre égratignure. Mon père ne supporterai pas qu'on lève la main sur sa petite fille.

Les autres apprentis ont le choix entre la Garde et la prison. Alors ils se tiennent droits, respectent le règlement sans broncher et obéissent aux ordres parce qu'ils savent que c'est leur seule chance d'obtenir un semblant de liberté.

En cas de renvoie, Kylorn et moi rentrerions simplement chez nous.

Seulement, nous renvoyer serait décevoir le Roi ainsi que son Général.

C'est pour cela que je me permets de faire de temps à autre entorse au règlement. Sinon en aucun cas je ne prendrais le risque de compromettre mon avenir. Je tiens plus que tout à suivre les traces de mon père et à devenir Général de la Garde.

Sachant que je suis invulnérable, et que je risque, tout au plus, une semaine de confinement dans mes quartiers, mon sourire s'étire de plus belle. Le Lieutenant-colonel Markens le remarque, mais au lieu de s'énerver, il me rend mon sourire.

À cet instant, je sens que quelque chose ne va pas. Il ne sourit jamais.

Il se redresse tout en continuant d'afficher son stupide sourire narquois. Mon sourire à moi s'efface aussitôt. Mon ventre se tord. J'ai un très mauvais présentiment.

Un martèlement de coups contre la porte du bureau me fait sursauter.

- Juste à temps ! commente le Lieutenant-colonel alors qu'un officier fait entrer les nouveaux arrivant.

Il a à peine posé un pieds dans le bureau que mon cœur s'arrête. Je reconnaîtrais ces bottes en cuir souple n'importe où. Magnus. Mon père adoptif.

La Prophétie des Ombres : Le Prince et l'Orpheline (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant