Chapitre 54 : Première leçon

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- Dis-moi ma fille, qu'es-tu ? me demande mon mentor.

Si j'en avais la moindre idée, je n'aurais pas emménager dans une chaumière perdue en plein milieu d'une forêt maudite avec pour seule compagnie la créature la plus redoutable du pays et son Brownie.

- Une sorcière ? je tente. Ou quelque chose qui y ressemble.

- Quelque chose qui y ressemble ? répète-elle outrée. Ma pauvre enfant, tu n'as pas la moindre idée du pouvoir que tu possèdes.

- Ce que j'ai vu suffit à me convaincre que mes dons feraient mieux d'être contenus et pour cela, je dois en être maître.

- Les contenir ? Ma chère, cela reviendrait à boucher le cratère d'un volcan. Jusqu'à présent, tes dons se sont manifestés que par éruptions spontanées et incontrôlables, que tu as tenté de brider. En les maîtrisant, tu embrasseras ta vraie nature et seras tout à fait capable de te mesurer. Tu deviendras invincible.

Sa description correspond mots pour mots à ce que j'ai ressenti.

- Comment savez-vous tout cela ?

Un sourire malin dévoile ses dents pointues.

- Parce que, ma chère, je suis faite du même bois que toi. Nous ne sommes pas de vulgaires sorcières. Nous sommes des descendantes des dieux ; des enchanteresses.

Enchanteresse. J'aime comment ce mot sonne à mes oreilles.

- Les Fymawæ ne descendent-ils pas tous des dieux ?

Du moins, c'est ce que j'avais cru comprendre.

- Les dieux ont insufflé la vie aux éléments et ainsi naquirent les premiers Fymawæ, ceux que les humains nomment les Cenctariens. De l'eau émergèrent les premières sirènes, ondines, selkies et autres créatures marines. De l'air vinrent les vampires, les Elfes, sylphides, les griffons et hypogriffes. De la terre sortirent les centaures, faunes, dryades, et du feu s'élevèrent dragons, licornes et Nains. Quant à nous, nous sommes nées de l'ombre et du chaos.

Ce serait donc de la que vient la Magie ? Des dieux ? Cela signifie-t-il que Seth avait raison ? Que Bu Phweizen n'est qu'une invention des Hommes ?

- Si tout cela est bien vrai, d'où
viennes les humains?

Je n'ai jamais vraiment cru en Bu Phweizen, ou du moins je ne lui ai jamais été dévouée, mais c'était la seule explication qu'on m'aie jamais donnée à notre existence sur cette
terre.

- Leur origine est bien moins glorieuse que la nôtre puisqu'ils sont un accident, descendant d'une espèce cousine des singes qui a aujourd'hui disparue. Leurs pratiques démontrent d'ailleurs que ce ne sont que de simples animaux.

Des animaux ? Je comprends mieux pourquoi les Fymawæ méprisent les humains. Ils ne les considèrent pas comme leurs égaux mais comme de simples bêtes, et pour certains, comme de la nourriture.

- Toi et moi, très chère, nous avons le pouvoir de changer le cours des choses et autrefois, ce pouvoir était très convoité. Notre sang peut donner la vie, notre esprit peut briser des montagnes et notre souffle peut réduire le monde en cendres.

Je suis soudain pétrifiée. Qu'a-t-il dit à propos de notre sang ?

- Mon sang est donc...précieux ? je m'enquiers.

- C'est le plus proche de celui des dieux. Une seule goutte contient un immense pouvoir, c'est ainsi que j'ai pu redonner vie à cette clairière que tu as détruite.

Je peine à déglutir. Si une seule goutte peut rendre vie, qu'a fait la Fæ avec sept ? Connaissait-elle ma nature ? Et le pouvoir que mon sang renferme ?

- Bien, commençons, déclare la Sorcière. Avant toutes choses, il est important que tu gardes à l'esprit qu'il y aura toujours un prix à payer. Si tu uses de ton don pour faire le bien, la fortune te sourira. Tout le bien que tu auras fait te sera rendu. Mais cela est vrai aussi si tu décides de faire le mal. Comprends-tu cela ?

Je hoche la tête. C'est un principe assez simple qui est enseigné dans le Savoir, le livre sacré écrit par les fils de Bu Phweizen.

- Maintenant ferme les yeux.

Je m'exécute.

- Concentre-toi sur un souvenir, quelque chose qui provoque en toi un grand émoi.

Plusieurs souvenirs ainsi que les sentiments qui les accompagnent me traversent l'esprit : l'exaltation de mon premier baiser avec Seth, la quiétude de mes étreintes avec Dihya, la joie de mes entraînements aux côtés de mon père, la grisante liberté qui m'envahit lorsque je me bats mais par dessus tout, la douleur des morts de Seth et Dihya, et probablement celle de Marha, et la haine envers Kylorn et sa famille.

- Imagine cet émoi se changer en fleur et éclore au creux de ta paume. Laisse-le te consumer tout en continuant de le maîtriser.

Je le fais. Je laisse la chaleur se répandre dans tout mon être, embraser chacune de mes cellules jusqu'à enflammer mon âme. De concert, je tends la main et ouvre ma paume.

Je reste immobile un moment, à me délecter de cette chaleur qui m'abreuve de plénitude. Dihya avait raison. Rien n'est plus délicieux que d'embrasser sa véritable nature.

Lorsque j'ouvre les yeux, une fleur couleur rouge sang éclos dans ma main. Et autour de nous des centaines d'autres ont envahi la plaine.

Je reconnais aussitôt cette espèce ; c'est un lycoris rouge, la fleur favorite de Dihya.

- Bien, me félicite la Sorcière.

Je me sens soudain épuisée, comme si je n'avais pas fermé l'œil depuis des jours. La faim me dévore les entrailles.

- Voilà le prix à payer, explique la Sorcière. Un jour, réduire le monde en cendre te paraîtra aussi aisé que de cligner des yeux, mais pour cela, il faut beaucoup de pratique. Bien, battons le fer tant qu'il est encore chaud. Vois-tu ce rocher là-bas ?

Elle désigne un immense morceau de roche qui doit mesurer quinze pieds de haut et qui se dresse à une lieue de nous. J'espère qu'elle ne va pas me demander de le soulever parce que même avec toute la Magie du monde, je ne crois pas pouvoir y parvenir.

- Je veux que tu le brises en deux, sans bouger d'ici, déclare-t-elle. Tant que cela ne sera pas fait, tu resteras là.

- Rester là ? je répète. Même si cela me prend plusieurs jours ?

Je me vois mal briser cette immense roche, avec ou sans Magie. Vu son état, elle piétine là depuis des siècles, résistant à l'usure du temps ainsi qu'aux tempêtes et aux guerres. Je ne crois pas pouvoir, moi, simple enchanteresse, briser ce géant.

- Plusieurs jours, plusieurs semaines, plusieurs mois, plusieurs années même. Tu ne bougeras pas d'ici, quitte à ce que tu meures de faim ou de soif.

Pendant un instant, j'ai l'impression que je vais mourir ici.

- Reviens une fois tu auras réussi.

Et sur ces mots, elle fait demi-tour et retourne à sa chaumière.

La Prophétie des Ombres : Le Prince et l'Orpheline (T1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant