La Prophétie des Ombres : Le Prince et l'Orpheline (T1)

Chapitre 82 : L'Hériter

Kylorn Bathory

Je me suis levé aux aurores ce matin pour contempler le lever de soleil et faire le deuil de mon ancienne vie. J'ai besoin d'un moment seul avant que mon existence ne soit à jamais bouleversée. J'ai besoin d'être moi une dernière fois.

Je m'apprête à devenir le Prince Héritier d'Eventura. Je ne sais pas vraiment si je dois m'en réjouir. Je vais devoir endosser un bon nombre de responsabilités. Je ne crois pas avoir été taillé pour cela. Je ne serais jamais un bon Prince, ni même un bon Roi.

J'ai d'abord songé à la fuite. Et si j'allais rejoindre Lynn et que l'on oubliait nos différents ? Serait-elle prête à me pardonner ? Et moi ? Le pourrais-je ? Mais je ne suis pas un félon. J'ai un devoir à accomplir alors je l'accomplirai. Je ferais face.

- Ta chère mère te cherche partout, m'informe Lando en s'asseyant à mes côtés.

Il n'est pas beaucoup plus âgé que moi, nous n'avons que 4 ans de différence. C'est sans doute pour cette raison qu'il est le seul à qui je peux me confier.

- Tu ne peux pas fuir ton destin, Kylorn, me rappelle-t-il comme je ne réponds pas.

Cela, je le sais déjà. Je suis condamné, seule la mort pourrait me délivrer de ce fardeau. Même si je tentais de m'enfuir comme je l'ai maintes fois rêvé, ils me retrouveraient.

Et puis, il y a tous ces gens, ce peuple. Mon peuple. Ils comptent sur moi. Je ne peux les abandonner à leur sort. Je ne peux pas les laisser à mon père. Je dois être digne de l'héritage de mon frère.

Mon ami se redresse puis me tend la main.

- Il est temps, déclare-t-il.

J'étudie attentivement sa main calleuse, pleine de cicatrices, sachant que lorsque je la saisirai, ça en sera fini de Kyle, Lynn et de tout ce que j'ai pu être. Il ne restera plus que le Prince Héritier. Je mourrais écrasé par le poids de la couronne.

Je saisis la main du médecin et me relève.

Lando m'adresse un regard approbateur.

Je le suis, tête baissée, la mort dans l'âme jusqu'à mes appartements où des dizaines de domestiques m'attendent. Mère est soulagée de me voir enfin arriver.

- Mon fils, vous daignez enfin vous présenter, siffle-t-elle. Allons, dépêchons, toute la cour vous attend. Votre père ne souffrira aucun retard.

Elle prend congé, suivie de Lando qui m'adresse un dernier sourire. Les serviteurs me déshabillent, me lavent, me parfument et me parent des plus beaux atours. Une chemise en lin, un pourpoint en velours et une veste pourpre. Puis ils décorent mon cou et mes doigts de bijoux en or et me maquillent. Pour finir, ils me passent la chevalière de mon frère.

Me voilà prêt.

Je ne reconnais pas l'homme qui se reflète dans le miroir. Ce n'est pas moi.

Le reste de la cérémonie se passe dans un brouillard épais. Je vis la scène de loin, comme si je n'étais qu'un spectateur perdu parmi l'assemblée.

Je m'avance le long d'une allée, dans le temple dédié à Bu Phweizen jouxtant le Palais. La foule me dévisage tandis que je m'approche lentement du Grand Prieur.

Eléanor d'Imbolc m'offre son plus beau sourire. Sans doute sait-elle que c'est elle que mes parents ont choisie pour être ma princesse. Un de nous deux au moins obtiendra ce qu'il a toujours désiré.

Je monte les marches et m'agenouille devant le Grand Prieur. Il trace un soleil sur mon front avec de l'or, symbole du Tout Puissant, puis m'invite à me relever. Je prononce mes vœux sur un ton si distant et si froid que je ne me reconnais pas. Ce n'est pas moi.

Je promets devant Bu Phweizen des engagements que je ne suis pas sûr de pouvoir tenir. Mais ai-je le choix ?

En plus de mes promesses, je jure de faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour protéger le royaume. Pour protéger les miens. Ce qui implique la mise à mort d'Edlynn.

Puis vient le moment où le Prieur saisit la couronne. J'incline la tête et m'agenouille, acceptant mon sort. Lorsqu'il la pose sur mon crâne, elle me semble aussi lourd qu'un rocher, aussi pénétrante qu'un poison.

Je me tourne vers la foule, sous le regard sévère de mes parents, et salut.

Les gens m'acclament, scandent mon nom, mais je ne les entends pas. Je suis trop loin, replié en moi-même, là où rien ne peut m'atteindre.