La Prophétie des Ombres : Le Prince et l'Orpheline (T1)

Chapitre 52 : La Sorcière et L'Orpheline (troisième partie)

Les légendes naissent dans les moments de désespoir.

Leigh Bardugo

J'erre désormais seule dans cette vaste forêt, qui à présent me paraît froide et lugubre, sans provisions, sans eau, sans plan pour la suite.

Je me contente de traîner ma carcasse d'un bout à l'autre dans la forêt, me demandant si je ne ferais pas mieux d'aller me livrer à la Garde.

J'ai d'abord pensé à me venger de Kyle. Je me suis imaginée le poursuivre, lui tendre un piège, pour lui trancher la gorge avec la même dague qui a ôté la vie à Seth. Mais à quoi bon ?

C'est ma soif de vengeance qui m'a conduite jusqu'ici. Si j'avais laissé les dieux s'occuper d'August je n'en serais pas là. Kyle et moi serions toujours amis, Seth serait toujours en vie et je ne me sentirais pas encore plus malheureuse et seule qu'avant.

Je me déteste au moins autant que je déteste Kylorn. Ce traître m'a pris tout ce qu'il me restait et il n'a même pas eu le cran de m'achever. Et j'ai bien l'intention de lui rendre la pareille si l'occasion se présente.

Je ne suis plus qu'un fantôme errant, une coquille vide d'âme et de volonté.

Alors que je piétine la terre humide, ignorant le doux chant des oiseaux et les chuchotements des fées, le bruit d'une branche écrasée sous un pieds attire mon attention.

Je ne me retourne pas, pourtant, je sens une présence insistante dans mon dos. Peut-être vais-je enfin rencontrer les créatures féroces dont Seth m'a parlées ? Ou bien me retrouver face à un loup qui aura assez pitié de moi pour m'achever ?

Mes espoirs s'envolent quand je tombe nez à nez avec une grande femme à la peau sombres et aux yeux bleus perçants. Elle est vêtue d'une longue robe noire en toile déchirée par endroit et porte un collier fait de rubis et d'os au ras de son cou.

Ses cheveux sont divisés en centaines de petites tresses coiffées en un chignon désordonné. Elle ne porte pas de chaussures, ce qui est assez étrange vu la propreté de ses pieds.

Je ne l'ai pas entendue approchée. Pourtant j'aurais dû. C'est en partie à cela que sert le Oudjat. De plus, je ne vois aucune trace de pas autour d'elle, comme si elle était simplement apparue.

- Viens avec moi, Edlynn, m'intime-t-elle en tournant les talons.

J'hésite un instant avant d'obtempérer, me convainquant que le manque d'eau et de nourriture me fait délirer et que si ce n'est pas le cas, peut-être cette femme me fera le plaisir de m'achever. Ou qu'elle m'accordera un souhait en échange de ma vie, comme dans les comptes que me lisaient Magnus.

Je ne sais pas qui elle est ni comment elle connaît mon nom, ni même si elle est réelle, mais quelque chose en moi me pousse à la suivre. Peut-être s'agit-il encore d'une de mes visions, comme le soir où j'ai vu ma mère ou quand j'ai vu Seth se faire assassiner. Ou peut-être ai-je simplement perdu la raison. Dans tout les cas, je n'ai rien de mieux à faire que de la suivre.

Nous marchons en silence pendant ce qui me semble durer des heures. Plus nous progressons, plus je me demande si ce qui ce passe est vraiment une hallucination.

Tout cela est bien trop tangible, bien trop détaillé : les insectes qui grignotent les arbres, le frisson des feuillages, la brise fraîche, l'odeur de la terre. Je ne rêve pas. Tout cela est bien réel.

Nous traversons ensuite une immense clairière où se déverse un petit ruisseau et...Je m'arrête net.

Je suis déjà venue ici, avec Seth, le jour où il est mort. Cette clairière était irréversiblement morte. Pourtant, l'herbe est verte, les oiseaux chantent et les sylphides dansent à nouveau dans les airs.