La chambre des filles

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Les invités partirent tous en même temps, ou presque. Je reçus des félicitations, ma soirée était réussie, les jumeaux promirent d'en organiser une quand leur tour viendrait au printemps prochain. Je me retrouvai seule avec Alexandre.

— Isadora dort pas chez nous ? s'étonna-t-il.

— Elle va réapparaître, je suppose, dis-je avec un sourire éloquent. Alors, t'as bien fait de participer, finalement ?

Il haussa les épaules. J'insistai.

— Elle te plaît, ma copine Julie, on dirait.

Il me regarda comme si j'avais l'âge de Mina, puis soupira.

— Je préfère aller me coucher avant que l'autre folle ne revienne. À deux, vous êtes encore pires.

Je restai donc seule, à vider les fonds de coca sur la pelouse du jardin, à empiler les chaises et à remplir la poubelle. Le froid de l'automne montait du sol avec l'humidité de la nuit. Où avait disparu Isadora ? Je commençais à détacher les ballons noirs quand elle fit une entrée fracassante. Elle exultait.

— C'est le plus beau jour de ma vie ! Lucas m'embrassée !

— Nooon ? C'est vrai que vous avez rigolé ensemble toute la soirée.

J'étais ravie pour elle. Elle bavassait comme une pie pendant que je finissais de ranger, et parlait encore en enfilant son pyjama à l'envers dans notre salle de bain.

— Tu te rends compte ? Dans mes rêves les plus fous, j'aurais pas cru ça si facile.

Je souriais en me rinçant le visage. Elle avait l'air si heureuse. Nous nous glissâmes sans bruit dans la chambre où Mina dormait sur le lit du haut. En se faufilant sous les draps, sur le matelas posé au sol, Isadora ne pouvait se taire.

— Tu te rends compte ? continuait-elle en chuchotant.

— Il t'a embrassée, tu veux dire ? Comme dans les films ?

— Haha oui ! dit Isadora avec fierté.

— Mais concrètement... ça fait comment ?

— Il a mis sa langue dans ma bouche. Puis on a tourné.

— Euh... dans quel sens ?

— Y avait pas vraiment de sens, un peu n'importe comment, en fait, dit Isadora en pouffant.

— Et... ça fait quoi ?

— En vrai ? Ça bave comme un gros escargot.

J'éclatai de rire.

— Beuark dégueu ! cria Mia au-dessus de nos têtes. Dans les films, c'est pas comme ça.

— Si, ils mettent la langue ! Sauf que c'est à l'intérieur, alors ça se voit pas, répliqua Isadora.

— Même que c'est tout gluant, ajoutai-je, ravie de choquer ma sœur.

— Menteuses ! C'est dégueu, moi je ferai jamais ça ! En plus, t'avais pas le droit, Lucas c'était mon amoureux ! Menteuse menteuse menteuse !

Maintenant, Mina pleurait et Isadora me regardait, interloquée. J'essayais de calmer ma sœur.

— Mais Mina, t'as que dix ans ! Lucas, il en a quatorze.

— Et alors ? articula-t-elle en descendant l'échelle. Je veux plus vous entendre, je vais dormir avec Alex !

— Il va être super content, marmonnais-je.

Mina sortit de la chambre dans son pyjama violet à fleurs, son oreiller sous le bras. Isadora reprit à voix basse.

— Ça alors, ta sœur. Je suis désolée, j'aurai jamais cru...

— T'inquiète, ça lui passera.

— Mais toi, Ombline ? demanda Isadora d'une voix hésitante. On était toutes les deux amoureuses de Lucas depuis si longtemps et...

Mais c'était vrai ça ! Où avais-je la tête ? J'avais complètement oublié d'être jalouse d'Isadora. Bizarrement, je ne ressentais aucune rancœur, les simagrées de Julie et Alexandre m'avaient tellement agacée que pas une seule fois je n'avais pensé à Lucas.

— J'avais oublié.

— Oublié ?

Isadora éclata de rire, visiblement soulagée.

— Oublié ! Quelle amoureuse tu fais !

— Peut-être que c'était juste pour faire comme toi, je veux dire, on aura bien rigolé avec ça. Je crois que j'aimais surtout l'idée d'être amoureuse, peu importe de qui c'était. Et maintenant... ça me fait plaisir de te voir contente.

— À un moment, j'ai eu peur, j'ai cru que Julie allait lui mettre le grappin dessus. Heureusement, elle a préféré Alex.

— Julie comme belle-sœur, pouah !

À cette idée, la panique me bloqua la respiration. Isadora ne sembla rien remarquer.

— Tu disais pourtant que tu l'aimais bien, malgré son côté peste.

— Oui, mais elle et Alex... ils vont pas du tout ensemble. Puis elle risque de lui faire du mal.

— Pauvre biquet ! Il serait ravi de t'entendre.

— Je le protège, normal, non ?

— Elle a raison de se faire plaisir, Julie, dit Isadora d'un air connaisseur. Alexandre, il est canon, dans le genre joli brun ténébreux. Tu trouves pas ? Enfin, c'est ton frère, je suppose que tu peux pas juger.

— Bah si, j'ai quand même des yeux ! Sûr qu'il est canon, mon frère.

La porte s'ouvrit sur Mina, toujours avec son oreiller.

— Alex, il est méchant. Il dit qu'on l'embête avec « nos histoires de filles » et il veut pas que je dorme avec lui.

— Reviens avec nous alors. On fait la paix ? proposa Isadora. La chambre des filles, c'est ici, alors soyons en fières.

Ma moitié d'orangeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant