Flirts de collège

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Dans les semaines qui suivirent, Isadora retrouva Lucas chaque jour à la sortie du collège. Ils se tenaient la main et s'embrassaient avant de rentrer chez eux. Je les enviais. Pas pour Lucas ni pour le flirt dans le froid, derrière l'abribus, à se bécoter avec le nez qui coule. Les nuages violets filaient dans le ciel assombri. Les oiseaux criaient. L'automne hurlait à mes oreilles. Moi j'aurais simplement voulu être amoureuse. 

Depuis que j'avais découvert mon indifférence pour ce type qui peuplait jadis nos conversations, je me sentais vide. Autour de moi, les garçons me semblaient sans intérêt ni profondeur. Ils ne parlaient que de télé, de sport ou de jeux de société. À se demander s'ils avaient jamais lu un livre. Le vent fit pleurer mes yeux. Mes cheveux volaient, me masquaient la vue. Le vent les plaqua sur mon visage, ils s'engouffrèrent dans ma bouche, bouchant mes narines. Je me débattis, lui tournai le dos. Soudain la bourrasque retomba, le silence me saisit. Je n'attendis pas les premières gouttes pour foncer vers mon bus.

Les mois passèrent et après les vacances de Noël, Isadora décida de rompre avec Lucas.

— T'es sérieuse ?

— Je le trouve collant, dit-elle en touillant dans la tasse de chocolat que j'avais préparé. Il voulait qu'on se voie ce week-end, mais pour quoi faire ? Il me dégoûte un peu. Ton frère avait raison, tu te souviens ? Il a les cheveux gras.

Je rigolai, mes pieds sur une chaise de la cuisine.

— Avant, ça ne te dérangeait pas !

— Je m'ennuie avec lui et devine ? Il dit plein de gros mots. Ça, je pouvais pas le savoir avant de lui parler. Puis j'ai rencontré hier un nouveau dans la salle d'études. Il est en quatrième, il vient de Marseille.

Un nouveau ? Déjà ? Mais comment s'y prenait-elle ? Je me sentais si différente des autres filles. Fanny et Laure, par exemple, toutes leurs conversations tournaient autour des garçons, elles piochaient même dans les chanteurs à mèche qui plombaient le Top 50 de leurs hululements. Mon silence les poussait à croire que je taisais le nom de mon élu, mais mon cœur me semblait vide. Ces types falots ne m'intéressaient pas. Étais-je anormale ? J'avais envie de me confier à quelqu'un, mais qui ? Isadora n'aurait pas compris.

Un soir de janvier, alors que les arbres noirs de la rue dressaient vers le ciel leurs moignons pleins de cicatrices, Alexandre et moi regardions une série débile à la télé. Les déboires sentimentaux des héroïnes de Sous le soleil ne nous passionnaient pas, mais on avait la flemme de bouger, et au cours du déballage larmoyant d'une fille au cœur brisé, je me surpris à demander à Alexandre.

— Pourquoi tous les garçons sont nuls ?

— Parce que tu ne connais que des nuls, répondit-il sans quitter l'écran des yeux. En plus, tu t'entoures mal. Ce Lucas, par exemple.

— C'était Isadora !

— T'as pas toujours dit ça.

Je renonçais à lui expliquer mon problème. Les mecs étaient tous nuls, même mon frère. Ma jambe posée sur l'accoudoir du fauteuil, je balançais mon pied dans le vide au risque de cogner la table en verre. Alexandre m'énervait.

— Tu peux parler. Avec cette Julie.

— Quoi cette Julie ? Figure-toi qu'on va au ciné mercredi, justement, me dit-il avec fierté.

Je m'étranglai.

— Au ciné ? Rien que vous deux ?

— Non, avec Aaron et Maud. Ils sortent ensemble. On va voir un film marrant, j'ai oublié le titre mais c'est avec Ophélie Winter, je crois.

— Mais alors, toi et Julie, vous...

Son visage se fendit d'un grand sourire, puis augmenta le son de la télévision. Il semblait ravi de m'agacer. Je me levai d'un bond et courus dans ma chambre. La colère me crispait les mâchoires. Les frères pouvaient-ils sortir avec n'importe qui, sans tenir compte de notre avis ? Les frères en général peut-être, mais pas le mien ! Après tous les efforts auxquels j'avais consenti pour l'aimer, je refusais de lui prêter, à cette pimbêche.

Comme les semaines se fichaient de mon avis, elles passèrent, et Julie téléphonait parfois à la maison. Quand Papa décrochait, il appelait Alexandre avec un grand sourire et ces soirs-là, il lui ébouriffait encore les cheveux en faisant héhéhé. Mon frère se recoiffait en rougissant, ce qui avait le don de me mettre hors de moi. Quel nigaud franchement.

Puis Julie cessa de téléphoner et personne ne posa de questions. J'aurais aimé que mon père, pour une fois, soit moins respectueux, le charrie un peu, le chambre gentiment, mais rien. Pas même un commentaire tout naze genre « une de perdue, dix de retrouvées ». Peut-être était-ce Alexandre qui l'avait larguée, d'ailleurs. Comment savoir ? J'avais envie de le houspiller à ce sujet, et en même temps, une joie guillerette ne me quittait plus.

Un samedi matin, je le trouvai seul au salon et je m'apprêtais à monter à l'assaut quand son regard étrange m'arrêta en plein vol. Il me fixait de ses yeux noirs chargés de colère, d'incompréhension, comme si je l'avais trahi d'une quelconque façon. J'en déduisis qu'il anticipait mes questions désagréables et qu'il se préparait à me recevoir vertement. Je battis en retraite, un peu perdue sous son air courroucé.

Dès le dimanche après-midi, j'en parlais à Isadora qui m'avait demandé de lui peindre les ongles mais ignorait tout de la vie d'Alexandre.

— Comment veux-tu que je sache ce qui s'est passé entre eux ? Et puis quelle importance ? Moi non plus je ne désire pas que ton frère souffre, mais bon, t'es pas sa mère non plus. En plus, il a l'air OK, qu'est-ce qui t'inquiète autant ?

Je l'ignorais. Un besoin indicible de tout savoir de sa vie privée. Je soupirai et enjoignis à Isadora de laisser ses mains à plat sur la table pour que je puisse étaler la deuxième couche.

Puis le printemps éclata, je guettai l'arrivée d'une nouvelle petite amie qui aurait accompagné les premiers bourgeons, mais il n'en vint pas. 

Ma moitié d'orangeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant