Jeux dangereux

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Dès que possible, j'admirais le corps d'Alexandre, je lui ôtais son T-shirt, le massais tendrement, faisant jouer les muscles sous la peau avec toute la douceur dont j'étais capable. Mes mains arpentaient son torse sculpté par le judo, et je frémissais de bonheur. Il était mince et sec, parfaitement tracé.

Un après-midi de janvier, je guettais ainsi les expressions de bien-être sur son visage. Je le caressai, dénouai d'éventuels points de tension. Comme il paraissait apprécier, je finis par me jucher à califourchon sur ses cuisses. Mes paumes reprirent leur course sur le corps allongé, j'œuvrais comme la vestale d'un Dieu alangui et le désir montait à l'assaut de mon ventre. Je me penchais pour l'embrasser dans le cou. Alexandre ne bougeait pas d'un pouce. Feignait-il de dormir ? Je ne pus retenir longtemps mes doigts qui descendaient de plus en plus bas sur son ventre.

Je m'arrêtai un moment. Je n'osai plus bouger. Des mains attrapèrent mes poignets. Alexandre m'attira à lui, me plaqua contre son torse, immobilisa mon visage entre ses mains. Sa langue força mes lèvres. Je la laissai pénétrer avec bonheur, douce et chaude, je fondais sous sa caresse. Déjà Alexandre soulevait mon pull pour m'aider à le retirer. Je gémis timidement, mais soudain, Alexandre rabattit sur moi la couette et me poussa contre le mur. Des pas résonnaient dans le couloir. Je me collais dans le fond du lit, lovée sous les couvertures en fouillis, bouillonnante de passion et de terreur mêlées. La voix de mon père me parvint, étouffée. Il s'étonnait :

— Où est Ombline ? Je dois la conduire chez le dentiste ! Elle a oublié ?

— Je faisais une sieste, bredouilla Alexandre, je n'ai aucune idée d'où elle se trouve.

Avant d'ajouter prestement :

— Peut-être chez Isadora ?

Mon père sembla rasséréné. À travers l'édredon, j'entendais le sourire dans sa voix.

— J'aurais pu m'en douter.

Il referma la porte. Je sortis en tremblant de sous la couette, Alexandre remettait son T-shirt.

— On l'a échappé belle.

— Putain de dentiste, dis-je en descendant l'échelle.

J'avais le corps en coton, plein de désirs inassouvis, mais impossible de m'attarder. Je courus rejoindre mon père devant la maison, inventant sur-le-champ une recherche d'accessoires à la cave, pour l'anniversaire d'Isadora qui approchait à grands pas.

— Bientôt dix-sept ans, le temps file à une vitesse ! dit mon père.

Il semblait véritablement effrayé, je ne relevai pas.

À partir de cette date, nous vivions dans la terreur d'être découverts, la tristesse de devoir nous cacher et l'excitation de notre relation taboue. La nervosité me rongeait, je me cognais, je laissais tomber mes clefs... Les pics émotionnels et les descentes vertigineuses que je traversais chaque jour m'épuisaient tellement qu'il m'arrivait de pleurer ou de rire pour des peccadilles. Les résultats scolaires d'Alexandre dégringolèrent en chute libre et son professeur principal convoqua nos parents. Les enseignants craignaient que des conflits, un deuil ou une maladie grave assombrissent notre famille en ce moment. Cette rencontre inquiéta mes parents qui interrogèrent Alexandre sur ses fréquentations, est-ce qu'il fumait ou buvait, est-ce qu'il avait un problème dont il désirait parler ? À la tête de mon frère, ils conclurent à un amour déçu que sa pudeur empêchait de dévoiler.

— Au fond, ils ne sont pas loin de la vérité, lui dis-je le mercredi suivant.

Nous étions allongés sur son lit, Alexandre riait jaune.

— Ils finiront par tout découvrir, c'est inévitable.

Il remonta la couette sous mon menton. Il avait peur. Je me voulus rassurante.

— Quand nous serons majeurs, nous quitterons la maison.

— Pour vivre de quoi ? Et avant ça ? Tu nous vois continuer comme ça pendant deux longues années ? Tu parles d'une prison !

— Et ça, c'est une prison ?

J'ouvris les pans de mon chemisier, lui exposant ma poitrine dénudée. Il y enfouit son visage, et je lui proposai.

— Tu veux que je te fasse oublier nos soucis ?

Le stress que les parents nous surprennent n'altérait pas notre désir, il l'attisait, au contraire. Ce n'était qu'une fois seule dans mon lit que la peur me montait au ventre. J'avais suggéré à Alexandre que nous sortions de la maison, mais nous ne savions où aller. Je rêvais d'une ville où personne ne nous aurait connus. Nous nous serions promenés, main dans la main, puis arrêtés pour nous embrasser à pleine bouche sans crainte d'être inquiétés. Au lieu de monstres, nous aurions été, aux yeux des passants, de mignons petits amoureux. Puis certains après-midi, nous nous rappelions notre enfance. Je lui disais :

— Quand tu es arrivé, c'est fou comme j'étais déçue ! On t'avait tant rêvé, avec Isadora et Mina, et tu ne ressemblais pas du tout au frère de notre imagination.

— Moi aussi j'étais déçu, je croyais que Mina allait se souvenir de moi, mais elle était devenue française jusqu'au bout des ongles. Je prévoyais de joyeuses retrouvailles. Or c'était finalement plus ta sœur que la mienne.

— Tu rigoles ? C'est le contraire qui s'est produit. À ton arrivée, Mina m'a complètement tourné le dos, vous faisiez bloc tous les deux contre moi.

— Elle m'a abandonné pour venir dormir avec toi.

Je me blottis contre lui.

— Seulement à cause de sa varicelle. Dingue comme on n'a pas les mêmes souvenirs !

Il leva mon visage pour me contempler dans les yeux, puis me confessa :

— Tu m'impressionnais drôlement. Si jolie, si noble, je me sentais comme un chien pouilleux à tes côtés. Je suis tombé amoureux de toi dès le premier jour, même si j'ignorais alors le sens de ce mot !

— Moi je te trouvais beau, énigmatique et très énervant à accaparer ainsi nos parents et Mina.

— Énervante, tu peux parler, t'étais une vraie miss je-sais-tout.

Nos chamailleries tournaient invariablement en partie de chatouilles, puis en caresses.

Malgré notre complicité, Alexandre se sentait plus mal chaque semaine. De mon côté, je brûlais d'un feu intérieur, je fuyais Isadora, certaine qu'elle pourrait me démasquer facilement. Elle me connaissait par cœur. Après les cours, je prétextais le travail scolaire pour rejoindre Alexandre au plus vite, évidemment ma moyenne restait médiocre. Celle d'Isadora grimpait en revanche, privée de sa source de distraction favorite, ce qui me déculpabilisait un peu. Mon comportement néfaste pour notre amitié lui apportait quand même quelques avantages.

Ma relation avec Mina se détériorait aussi. Le soir, je ne l'écoutais plus me raconter sa journée, je passais le plus clair de mon temps à rêvasser ou à angoisser. Dès que nous étions tous les trois, nous les enfants, notre embarras devenait palpable. L'ambiance agaçait nos parents, qui ne comprenaient rien et nous répétaient à table :

— Ah là là, vivement la fin de l'âge bête !

— C'est eux ! rétorquait Mina. Ils font des cachotteries.

On ne se défendait même pas. Qu'aurions-nous pu inventer ?

Ma moitié d'orangeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant