Point de vue de Guilbert Foxegrave (père adoptif de Léon)
Assis à la vieille table de la taverne, je sentais les regards braqués vers ma direction. Moi, Guilbert Foxegrave réduit à vivres dans une bicoque délabrée et traité comme un moins que rien. N'est-ce pas étrange ? Tout cela à cause du sacrifice que j'ai fait pour élever cet enfant, ma rédemption, ma raison de vivre désormais. Cependant, je n'en étais pas malheureux.
Il fut un temps où je résidais dans le quartier résidentiel de l'île, j'étais un homme respecté ayant considérablement contribué à la protection de l'île. Je formais de jeunes recrues, Solken étant une île recelant énormément de mana, il n'était pas rare que des monstres d'une grande dangerosité s'aventurent aux abords du village.
Une serveuse s'approcha de moi et me tira de mes pensées. "Je vous sers la même chose que d'habitude ?" me demanda-t-elle. Récemment, il m'arrivait souvent de me remémorer des événements lointains, en oubliant presque le présent.
"Oui, bien sûr, une bière : Arcane de Solken, s'il vous plaît." Ma boisson préférée, un breuvage qui capturait l'essence même de notre précieux mana. À peine servie, on pouvait voir les lueurs magiques émaner, dévoilant des reflets iridescents. Les premières notes olfactives révélaient un mélange envoûtant de baies Delvidia et d'écorce de bois éthérée. Une personne me rejoignit et commanda la même boisson, c'était un homme que je connaissais bien, Aaron, le Cavalier implacable, un chevalier Saint, tout comme moi.
Les lumières dansantes des chandelles créaient des ombres sur nos visages marqués par les nombreux défis auxquels nous avions fait face ensemble. Entre deux gorgées de bière, je commençais à lui dévoiler mes intentions en prenant soin de rester discret.
"Je pense qu'il ne me reste que quelques mois," dis-je stoïquement.
"Alors, c'est vrai ...? Si c'est le cas, ce sera une énorme perte pour le royaume de Dragd."
"Oui, je le sens, la dégénérescence du mana, cette fichue maladie... Si seulement j'avais un peu plus de temps."
Cette affection était le résultat de mes nombreux hauts faits accomplis lors de mes jeunes années. Nous possédons tous une quantité de mana définie à la naissance, conditionnant ainsi notre avenir à la promesse de succès ou à une vie misérable. Malheureusement, outrepasser ces réserves affecte notre énergie vitale, risquant de provoquer un syndrome incurable appelée la dégénérescence du mana. Celle-ci affaiblit peu à peu notre réserve jusqu'à ce que la vie quitte notre corps.
"Aaron, mon vieil ami, je compte sur toi pour prendre la relève concernant le destin de mon fils."
"*Soupire* je suppose qu'il n'est pas au courant de ta maladie ?"
"Je ne sais pas s'il serait capable de s'en remettre. Non, en vérité, c'est moi qui ai peur de le faire souffrir."
"Tu as bien changé, Guilbert, le Virtuose Sanguinaire. Ton titre aurait fait trembler le moindre être vivant, et maintenant, regarde où tu en es. Les habitants de cette maudite île te traitent comme un moins que rien, et ta famille a dû s'en aller pour ne pas subir de représailles. Est-ce bien raisonnable ?"
Je pris une longue inspiration, laissant remonter à la surface certains événements de mon passé.
"La perte de ma femme et de mon enfant m'a plongé dans l'obscurité," commençai-je d'une voix grave.
"Melinda? C'est vrai que depuis cet instant, tu n'étais plus le même."
"Ma bien-aimée est morte en donnant naissance à mon fils, celui-ci n'a pas non plus survécu, et je n'étais pas présent à leurs côtés. Une noirceur s'est emparée de mon cœur ce jour là. Je pensais ne jamais me remettre de cette situation, cependant..."
Un voile de chagrin assombrit mon regard alors que je me remémorais ce moment. "...Un jour, parmi tant d'autres, dans les ruines de l'île, j'ai trouvé un enfant entouré de mana. Je l'ai accueilli, lui donnant le nom qu'aurait dû avoir mon fils."
J'esquissai un sourire empreint de tristesse. Léon devait avoir environ deux mois lorsque je l'ai découvert. Dépassé par les événements, je ne saisissais pas la situation et j'ai fait appel aux Sages de l'île. C'est à ce moment-là que j'ai compris leur folie. Ils étaient prêts à abandonner un nouveau-né parce qu'il n'était pas originaire de l'île. La peur de voir un étranger profitait du mana de l'île qui aveuglait leur jugement. Cette décision a provoqué une fracture, et malgré les interdictions, j'ai fait ce qu'aucun n'avait osé faire jusqu'alors : élever un étranger au sein de Solken. J'ai dû sacrifier ma dignité, le respect et mes richesses pour continuer à vivre sur cette île. Ma famille proche a dû s'en aller.
Léon possédait une réserve de magie très faible ; en théorie, il serait considéré comme une personne ordinaire en devenant adulte. Cependant, j'ai senti un potentiel en lui, cette colonne de lumière qui l'entourait au moment où je l'ai trouvé en était le signe. Vivre sur cette île était le seul moyen de ralentir la progression de ma maladie grâce au mana ambiant et d'offrir une chance à mon garçon. Selon moi, j'étais persuadé qu'il était un mage de type hérétique. Je donnerais tout pour apercevoir le visage des Sages de l'île lorsque cela arriverait. Puis, au fil des ans, je l'ai vu grandir, faire preuve d'une rigueur et d'une maturité à toute épreuve malgré les peines et la solitude qu'il traversait me confortant que même sans cela il deviendrait un grand chevalier.
J'ai donc pris le soin de discuter avec mes voisins, la famille Lando. Je connaissais Karl, le mari, depuis tout petit, et même si nos destins étaient différents, notre amitié était indéfectible. Sentant que ma vie allait tôt ou tard me quitter, je leur ai demandé d'aider mon fils lorsque cela arriverait. Karl avait été présent durant le funeste accouchement de Melinda. À présent, je leur imposais à nouveau une requête déraisonnable. Karl et Nelia étaient d'une bonté remarquable et ont accepté sans même réfléchir. J'étais heureux de pouvoir compter sur de telles personnes, aussi j'ai décidé d'envoyer mon fils chez eux, histoire qu'il s'habitue à leur gentillesse.
Le feu crépitait en arrière-plan alors que je partageais mon fardeau avec mon compagnon d'armes. Dans la pénombre de la taverne, nos destins s'entremêlaient, forgés par l'enchantement et la promesse d'un avenir incertain.
"Léon est doué dans l'art de l'escrime. Il fait preuve d'ingéniosité sans même utiliser de magie. Lorsqu'il atteindra les 18 ans, je souhaite que tu l'emmènes à Elisia et qu'il soit formé en tant que chevalier," lançais-je fièrement en pensant à mon garçon.
"Tu sais bien que le talent ne fait pas tout. Ce monde est injuste, avec une réserve de magie faible, il restera en bas de l'échelle."
"C'est surement un mage hérétique, ne t'inquiète pas. Et même sans cela, tu verras, lorsque tu l'auras vu se battre."
"Comment peux-tu être si sûr de toi ?" me demandait Aaron semblant interloqué par mon assurance. Il ne comprenait pas, simplement parce qu'il n'avait pas connu ce sentiment.
"Parce que c'est l'héritier de la famille Foxegrave, que je crois en lui, et surtout, parce que Léon est mon fils."
À cela, Aaron n'eut rien à redire. Nous levions nos verres en mémoire de toutes ces années traversées ensemble et en anticipation de la future réussite de mon enfant. Il avait désormais toutes les chances de devenir, comme son père, un chevalier Saint, et ainsi, il montrerait au monde son existence.
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Le gardien du mana éternel
FantasyDans l'île enchantée de Solken, Léon, un jeune garçon trouvé dans les ruines, est adopté par le chevalier Saint Guilbert, devenant ainsi l'héritier d'une noble lignée. Mais en tant qu'étranger, il est rejeté et marginalisé. Rozalie, une fille intrép...