Le gardien du mana éternel

Chapitre 35

Point de vue de Léon Foxegrave

La dernière soirée et la réaction de Nelia m'ont laissé une saveur amère, je n'ai pas osé retourner chez eux pendant plusieurs jours. Grâce à l'argent que j'ai rapporté de la patrouille, j'ai commencé à préparer mes propres repas. Cependant, tous les plats avaient la même apparence, noirs comme du charbon, et leur goût était, comment dire... juste atroce, me causant des maux d'estomac. Même en utilisant des ingrédients frais, il semblerait que la cuisson en invoquant des flammes depuis ma lame était un peu excessive. J'ai donc opté pour des salades et des sandwichs achetés. Bien que froids, ils avaient au moins le mérite d'être comestibles. Cela a duré quatre jours, pendant lesquels je suis allé rendre visite à Eva, dont l'état semblait s'améliorer progressivement.

Bien qu'elle ne puisse pas encore parler, je faisais la conversation seul, essayant de lui remonter le moral et de lui raconter les innombrables changements qui étaient survenus. Ashe avait informé la population de mon statut de membre à part entière de l'île, ce qui entraînait déjà des bouleversements positifs. En contrepartie, sa propre réputation en avait souffert à cause de la tromperie des Sages, provoquant de multiples révoltes et une perte progressive de la confiance des habitants. En revanche, moi, je recevais d'innombrables excuses et compliments pour ma bravoure depuis que leur sort de manipulation s'était dissipé. J'imagine qu'il avait probablement anticipé cela, d'où sa réticence à ouvrir l'île aux étrangers de façon permanente, pour l'instant. En outre, il m'a aussi rendu l'intégralité des biens de notre famille, y compris une magnifique clé : celle de la demeure où j'avais discuté avec Aaron et Lamuna, qui était l'ancien domicile principal de notre famille. J'ai supposé que Rudolf, mon oncle, possédait un double de manière illégale et l'avait confié à l'un des chevaliers Saints. Bien que j'aie hérité de la résidence en tant que successeur, je ne pouvais me résoudre à quitter la maison où j'avais passé toute ma vie, ne serait-ce que pour rester auprès de ma... nouvelle famille.

Après ma visite, j'ai saisi l'occasion de rencontrer Daïn et Noa pour leur révéler tout ce qui m'était arrivé. Malgré les rumeurs qui se propageaient rapidement à l'école, j'étais conscient que la discussion serait difficile.

"Léon, pourquoi ne nous as-tu rien dit ?" m'a demandé Noa, visiblement surpris.

"J'y crois pas, tu as préféré demander de l'aide à mon père..." a réagi, consterné, mon autre ami.

J'ai baissé la tête, résigné. "Ce n'était pas prévu. Silva et moi voulions juste prévenir un adulte... Je ne savais pas à qui en parler, et ton père m'est venu à l'esprit."

"Pourquoi est-ce que je m'entraîne alors, si tu ne peux même pas compter sur moi ?" s'est agacé Daïn.

Je l'ai fixé intensément, exaspéré par son ignorance. "C'est dingue, ouvre les yeux ! Tu crois que tout est noir ou blanc dans ce monde ? Tu veux que je te dise quoi ? Que je suis désolé ? De toute façon, tu ne comprendrais rien."

"Pfff... Je comprends surtout que tu n'as aucune confiance en nous," a soupiré Daïn, partant sans un mot, malgré les tentatives vaines de Noa pour le retenir.

Noa est resté avec moi, le visage inquiet, témoignant de sa capacité habituelle à bien observer les situations.

"Léon, sois franc. Est-ce que ce que Daïn a dit est vrai ?" m'a-t-il demandé d'un regard déterminé.

Dans un moment de faiblesse, ma voix s'est brisée, chargée d'une tristesse douloureuse. "Évidemment que non. Vous êtes ce que j'ai de plus cher. Mes premiers amis. Je ne peux pas, je ne veux pas, vous mettre en danger."

J'ai pris doucement mon souffle. Noa m'a regardé avec compassion. J'ai continué à parler : "Je ne peux pas dire à Daïn que mon pouvoir me permet aussi de ressentir les émotions des autres. Tu imagines si je lui disais que son père n'a que des regrets et de la tristesse au fond de lui ? Il ne me croirait pas, et ce n'est pas à moi de m'en mêler... Et à cause de ça, Rozalie doit sûrement m'en vouloir tout autant."