Celui qui aime

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Ethan alluma une cigarette, et souffla la fumée en direction de Réo avec un sourire moqueur. Le jeune Diaz avait une mine effarée et le regardait avec insistance, hésitant entre la peur et inquiétude envers son ami.

- Ça ne te fait rien d'avoir tué quelqu'un de cette façon ? Demanda Réo, sous le choc.

- Pourquoi ? Ça devrait ? Répondit Ethan avant de vider son verre d'une seule traite.

- Évidemment ! Tu devrais au moins éprouver des remords et de la compassion pour sa famille et ses amis ! S'indigna Réo en le secouant par les épaules.

- Le seul pour qui je peux éprouver ce genre de sentiments c'est toi. Je me fiche pas mal des autres.

- Dis moi... Je me demandais. J'y pense depuis qu'on s'est vu près du parc... Est ce que par hasard... Tu m'aimes ?

- Oui je t'aime. Et dans ce monde tu es la seule personne qui importe. La seule.

Il fit signe au barman de lui resservir une boisson. Il leva son verre et fit tournoyer le précieux liquide, le regard dans le vague. Réo était sous le choc. Il lui avait dit cela avec tellement de simplicité, sans aucune gêne et sans hésitation. Il n'avait même pas l'air de s'inquiéter de la réciprocité de ses sentiments, comme si, au fond, cela lui était égal. Contrairement à lui, son coeur avait fait un bon. Qu'était donc ce sentiment qu'il ressentait pour cet homme dont le magnétisme l'attirait comme un papillon vers une flamme. Son estomac s'était noué et il ne savait plus quoi lui dire, lorsque son ami reprit :

- Te prends pas la tête. Notre relation a toujours été très ambigüe et personne ne l'a jamais comprise. Ils ont tout fait pour essayer de nous éloigner. C'était aussi le cas pour Nathan Smith. Il ne m'a jamais supporté et faisait tout pour que tu m'oublies...

- Tu sais... Je ne m'en souviens plus de toute manière. Alors tu n'étais pas obligé de faire ça.

- Bien sûr que si ! Il allait découvrir notre secret ! Je ne pouvais pas le laisser faire sinon tu aurais eu de sérieux problèmes...

- De quel secret tu parles ?

- Il vaut mieux pour tout le monde que tu ne t'en souviennes pas.

- Je vais rentrer. Soupira Réo qui s'était levé du tabouret et avait commencé à marcher vers la sortie.

- Attends ! Cria Ethan qui le suivit.

Il le prit dans ses bras et le serra fort contre lui en lui murmurant à l'oreille :

- S'il te plaît... Aies confiance en moi...

- Je vais devoir te dénoncer tu sais ?

- Je le sais. Fais le si tu sens que c'est la bonne chose à faire. Je ne veux pas que tu aies des regrets.

Réo se dégagea de son étreinte et s'en alla. Lui faire confiance était quelque chose de difficile pour lui. Jusqu'à maintenant, hormis ses mots, il n'avait jamais montré qu'il en était vraiment digne et ses meurtres intensifiaient la méfiance qu'il avait pour lui. Ethan le regarda partir d'un air perplexe. Il eut un petit rire moqueur et ralluma une cigarette. Il savait pertinemment qu'un jour ou l'autre il apprendrait la vérité et se souviendrait de tout. En attendant, il prenait un malin plaisir à le manipuler à sa guise, malgré les sentiments sincères qu'il avait pour lui, même si son ami pensait le contraire et n'éprouvait rien de plus que la peur et la méfiance à son égard. Pendant ce temps-là, Réo ne savait plus quoi penser. Il avait marché un bon moment sans se soucier de son travail avec le vieux Grimberg, lorsqu' il se rendit compte qu'il était déjà devant le petit appartement. Il entra, dégageant le bazar étalé sur le sol et s'assit sur le canapé, la tête en arrière regardant le plafond devenu gros et humide. Il était complètement perdu et ne cessait de se demander ce qu'il devait faire, tout en s'empiffrant des gâteaux qu'il avait acheté pour Charlie. Ce fut lorsqu'il se rendit compte qu'il avait mangé la moitié des cupcakes, qu'il referma la boîte à toute vitesse, posa la boîte sur la table du salon et alluma la télévision. Il resta devant une telenovela, hypnotisé par l'histoire et le jeu d'acteur exagéré. Il se vida la tête toute la journée de cette façon et semblait apathique, incapable de bouger. Il était fatigué mentalement et s'endormit en fin d'après-midi alors que le quartier commençait à peine à s'animer. Il n'entendait le bruit que comme un bruit de fond incompréhensible, comme si ses pensées le faisaient voyager dans un autre univers. À ce moment-là, il se souvint de sa rencontre avec Nathan et Kader.

C'était lors de sa première année au collège. Vivant dans un orphelinat, il était sujet au moqueries et au harcèlement de la part de ses camarades, en conséquence de quoi, il se renferma, au point de devenir quasiment inexistant même aux yeux de ceux qui le martirisaient. Il rasait les murs, sautait le repas du midi pour ne pas aller à la cantine et se fondait le plus possible dans la masse. Pas de club, pas de sport, il faisait absolument tout pour ne pas se démarquer des autres. Mais un jour, il tomba sur un petit groupe de garçons alors qu'il retournait " chez lui". Bien évidemment, il fut victime de violences de leur part. Les coups, les insultes et les humiliations fusaient tandis qu'il était incapable de se défendre. Sur le sol, les yeux fermés, il commença à pleurer, se demandant quand son calvaire allait enfin se terminer. Il se voyait déjà mort, se demandant comment Ethan réagirait en apprenant la nouvelle. Oui. Il était son premier et son seul ami dans ce monde de tourments et de souffrance perpétuel. C'est alors que Nathan et Kaleb qui passaient par là, décidèrent de s'en mêler et vinrent défendre le jeune garçon qui s'était roulé en boule. Depuis ce jour, les trois garçons devinrent inséparables, et Réo ne pouvait s'empêcher de raconter ses journées avec ses nouveaux amis à Ethan, qui, à chaque fois, faisait mine d'être content pour lui. Mais au fond il était jaloux. Très jaloux. Il voulait Réo pour lui tout seul, et ces deux-là l'empêchaient de se rapprocher encore plus de son ami. Après tout, il l'avait connu avant eux, avait vécu tant de choses avec lui. Réo était son ami à lui et à personne d'autre.

Encore maintenant, Ethan ressentait cette jalousie qui n'avait jamais cessé de le ronger. Il en voulait à la terre entière et alors que Réo dormait profondément en se remémorant son enfance, il arpentait les rues en quête de distraction lorsqu'il se retrouva devant un club de striptease. Il y entra et y passa la nuit la nuit à boire et admirer les femmes qui dansaient presque nues.

Le lendemain matin, alors qu'il se réveillait au son de la télévision qui était toujours allumée, il prit une décision : il allait dénoncer Ethan à la police. Il se sentait coupable de faire ça. Mais même s'il était son ami, il ne pouvait pas le laisser continuer. Il le faisait pour les autres, mais surtout pour lui. Peut-être qu'une fois en prison il réfléchirait à ses actions et aurait des regrets ? C'est ce qu'il espérait. Il devait lui montrer qu'il ne pouvait pas agir à sa guise, qu'il n'avait pas le droit de faire autant de mal. Ce fut le cœur lourd qu'il se rendit au commissariat et alla trouver l'inspecteur Ambrose. Il se tint à côté de son bureau pendant un long moment, essayant de trouver le courage d'avouer ce qu'il savait, lorsque tout à coup, il se dirigea vers Gaby d'un air décidé et déterminé, peu importe lui importaient les retombées, il était prêt à tout assumer.

- Je vous ai menti. Déclara-t-il honteux. Je sais qui est la victime, et qui est celui qui l'a tué.

Gaby et Stan se regardèrent, septiques. Toutefois, coincés dans leur enquête, il décidèrent de l'écouter. Ils le firent asseoir sur la chaise en face d'eux et Stan alluma son ordinateur. Gaby lui servit un café dans un gobelet en carton et lui dit le plus sérieusement du monde :

- On vous écoute monsieur Diaz.

- Hé bien... La victime est un de mes plus proches amis. Il s'appelle Nathan Smith.

Stan cessa d'écrire tout d'un coup et resta sans bouger, les yeux écarquillés, choqué par ce qu'il venait d'entendre. Gaby, quant à elle, cachait avec brio ses émotions, mais n'en croyait pas ses oreilles. Elle but une grande gorgée de son café presque froid et écouta la suite du récit de Réo.

- Il a été tué par celui qui me harcèle. Son nom est Ethan. Et il est mon meilleur ami. Enfin ça, c'est ce qu'il dit.

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