7

3 2 0
                                    

Ce jour-là, la famille Le Mazellen au complet était affairée depuis longtemps déjà. Lauren, était partie en cueillette avec Will et Ruth, les jumeaux, alors âgés de huit ans. Lenaïc, était avec ses deux fils aînés. Avec l'aide de Joanh, il nettoyait la terre dans la partie du jardin destinée à accueillir les derniers légumes d'hiver à ne pas déjà être plantés ou semés. Rares étaient ceux étant capables de résister au climat très instable qu'ils allaient subir. Le rendement serait bien faible, mais cela permettrait toujours d'avoir quelque chose à mettre dans son assiette. 

Les plus anciens racontaient qu'il fut un temps où le climat était moins dur à vivre. Les saisons étaient mieux marquées, et les températures moins fluctuantes, et surtout moins extrêmes. À présent, ne jamais savoir le temps qu'il ferait les jours, voire les mois suivants, était devenu une routine. Beaucoup s'inquiétaient : si le phénomène devait continuer à empirer ainsi, il deviendrait impossible de se nourrir.

Goulven, de son côté, était occupé à l'installation d'une nouvelle invention, qui devrait rendre la vie plus facile à sa famille. Il avait récolté un certain nombre de morceaux de renouée du Japon, une espèce ressemblant à du bambou, et qui avait la fâcheuse tendance à s'étaler. Il les avait coupés en deux dans le sens de la longueur, avant de retirer un à un chaque petit compartiment. Il avait donc en sa possession un nombre conséquent de morceaux qui allaient lui servir de gouttière. Il était en train de les assembler un à un, afin de faire une ligne d'eau allant du ruisseau passant près de chez eux, jusqu'au potager. Ensuite, il avait prévu un système de moulin pour faire remonter l'eau jusqu'au premier bambou.

L'espace où la maison était construite, se trouvait en bordure de rivière, en surplomb d'une colline. La surface dépourvue d'arbre sur sa face sud, offrait une vue plus dégagée sur la forêt ondulant en contrebas. Le tout formait un ensemble très apaisant, où il faisait bon vivre. Au printemps, quand le climat se voulait clément, le chant des oiseaux résonnait partout aux environs.
Les voisins les plus proches, étant à près d'un quart d'heure de marche, ils ne voyaient que rarement du monde. Goulven aimait relever la tête de ses différents ouvrages, pour admirer le panorama.

Plus loin, Joanh le regardait en coin d'un œil noir. Il profita du départ de son père pour exprimer sa manière de voir les choses.

— Qu'est-ce que tu grattes encore ? Tu crois pas que ça nous aiderait mieux que tu bosses avec nous ? Toujours une excuse pour pas en ramer une !
— Je ne fais pas rien, s'excusa Goulven. Quand ça sera fini, on aura juste un geste à faire et le jardin s'arrosera tout seul.
— Mais oui, et –

Lenaïc arriva, interrompant Joanh. À la place, il lança un énième regard noir à son cadet. Goulven baissa les yeux.

— Allez mon grand, on s'y remet ?
— Vous avez besoin d'aide ? demanda Goulven ?
— C'est bon, Joanh m'aide. Fini ce que tu fais.

Goulven soupira. Bien souvent il en était ainsi. C'est bon Joanh va le faire. Joanh s'en occupe. Joanh par-ci, Joanh par là, toujours Joanh, encore Joanh. C'était comme s'il était incapable d'effectuer la moindre tâche. Qu'il était le bon à rien. Tout juste bon pour ramener à manger à la maison. Invisible entre un grand frère écrasant, et des jumeaux qui remplissaient la pièce de leur joie de vivre. Lui était trop effacé pour se faire remarquer. Il aidait chez lui, bien entendu. Mais c'était comme si on lui attribuait seulement les dernières tâches, si simple que même lui ne pourrait les rater. Il s'en sentait rabaissé. Il aimerait tellement être plus utile à sa famille. Tout ce qu'il faisait, son frère l'avait déjà fait avant lui. Ce n'était jamais assez bien pour qu'on le remarque. La maison était pourtant remplie de ses inventions, qui simplifiaient les tâches du quotidien. Mais ne les utilisait-on pas seulement pour lui faire plaisir ? Même ça, il en doutait.

Il fixa un dernier tronçon, avant de lever les yeux. Le temps de travail touchait à sa fin pour aujourd'hui. Le soleil allait passer derrière le grand cèdre, c'était pour lui le signal. Il était l'heure de partir rejoindre Mya, comme chaque jour depuis bien longtemps. En partant plus tard, il aurait pris le risque de rentrer après le couvre-feu. Il aimait ce petit moment qui le sortait de son quotidien morne. Il avait été accaparé toute la journée par l'installation de son dispositif. Bien qu'il avait pensé plus qu'il aurait voulu à la lettre qu'il avait découvert la veille, il n'avait pas pu se poser calmement, là où il aurait pu réfléchir à la manière de présenter les choses à Mya. D'une certaine façon, cela lui avait évité d'angoisser toute la journée. Il appréhendait la réaction de son amie. Mais à présent, il allait se retrouver au pied du mur. Comment lui présenter ça ? Comment lui dire qu'ils baignent dans le mensonge depuis toujours, même s'il ignore totalement dans quelle mesure ?
Il ne comprenait pas en quoi ce qui se passait à Castelizia le concernait. Mais si son grand-père y accordait autant d'importance, lui aussi. Restait à convaincre Mya.

Castelizia.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant