[ Chapitre 9 ] Soir

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Au quatrième étage, le duo du 4 dînait pour la première et dernière fois avec Delta Harper. Celle‑ci discutait stratégie avec Indigo, et lui promettait de lui envoyer des sponsors le plus fréquemment possible – mais seulement à lui, car elle ne parvenait toujours pas à voir un quelconque potentiel de victoire chez sa tribut fille.

« De toute façon, les sponsors aident que pour la bouffe, nan ? demanda cette dernière à Indigo qui passait déjà au dessert. Fin, c'est pas comme si tu pouvais recevoir des armes ou d'autres trucs trop lourds et trop chers, non ? »

Il hocha la tête en piochant quelques sablés.

« Alors, pourquoi tu te casses la tête à essayer d'en avoir à tout prix ? On sait pêcher, je te rappelle.

— Certes, mais qui sait s'il y a un coin de pêche dans l'arène dans laquelle on jouera ? »

Lori haussa les épaules. On s'en fout ; on verra bien sur le coup.

« Il vaut mieux mettre toutes nos chances de notre côté tant que l'on peut, reprit Indigo toujours sans sourire. Je ne peux pas planifier davantage sans savoir à quoi ressemble l'arène... alors je fais le maximum pour avoir le contrôle total de tout ce que je peux contrôler. »

Il décala son assiette à moitié vide devant Delta, et lui fit signe qu'elle pouvait terminer son poisson, avant de commencer une nouvelle pyramide de sablés à l'endroit où se trouvait son plat. Lori l'observa un moment et, comprenant qu'il avait fini ses explications qui ne l'avaient franchement pas beaucoup éclairée, déclara :

« Tu perds ton temps. Ça sert à rien, comme je te le dis depuis le début.

— Non. Tu verras que les sponsors seront essentiels à notre survie pendant les Jeux.

— Et toi, tu verras que t'as tort. »

La construction d'Indigo trembla légèrement lorsqu'il se leva soudain, à la surprise de Lori et de leur mentor qui arrêta de se goinfrer pour jeter un coup d'œil vers son tribut. Le regard de celui‑ci était fixé sur les sablés, mais Lori comprit que ses prochaines paroles étaient adressées à elle :

« Ingrate. Je ne comprends pas pourquoi tu ne me remercies pas de faire autant d'efforts pour t'aider à gagner. Imagine un peu notre désavantage si nous nous retrouvions dans le désert, sans un point d'eau pour pêcher ou même s'hydrater ? Sans sponsors, nous n'aurions aucune chance ! »

Il posa un nouveau sablé sur son édifice, avec une telle délicatesse et précision que Lori se relâcha un moment, pensant que son partenaire avait retrouvé son calme habituel. Pourtant son visage ne présentait pas l'ombre d'un sourire. Attrapant une rose confite, il reprit d'une voix blanche :

« J'essaie d'utiliser les derniers moments que je passerai en vie pour être le meilleur ami que je n'ai pas été ces dernières années. Certes, je ne suis pas parfait, mais je fais des efforts – efforts que tu n'as pas l'air de reconnaître, vu à quel point tu te montres critique de mes actions, ajouta‑t‑il en élevant légèrement la voix. Je déteste m'appliquer à bâtir un plan, une stratégie, une alliance, une amitié avec quelqu'un qui m'ignore ! »

Il plaça la rose au sommet de sa pyramide qui s'effondra aussitôt sous le poids de la confiserie, réduisant en miettes les sablés qui composaient la construction et brisant sa voix quand il reprit :

« Et je hais plus particulièrement les gens qui ne savent pas apprécier mon œuvre et les sacrifices que je fais pour aboutir au meilleur dont je suis capable ! » Il poussa un profond soupir et se prit la tête entre les mains. « Mon père, mon frère, et maintenant, ma meilleure amie... Personne ne peut donc comprendre ce que je ressens ? Non. Personne... ne me comprend... La seule chose que je vous demande, à vous tous, c'est de me soutenir pour que je trouve la motivation de rester en vie ! Ah... rester en vie... Mon esprit est à la dérive. Lori, dit‑il en prenant une inspiration pour se calmer et en lui faisant face. Peut‑être que tu ne vois pas pourquoi je prends certaines décisions, mais ne me traite pas comme un moins que rien parce que mes choix n'aboutissent pas encore à grand‑chose... Patience, fais‑moi confiance ; et tu verras que tout ce que j'ai fait ces derniers jours nous sera bénéfique pendant les Jeux. J'en suis certain... »

Il lâcha la rose confite sur la nappe, à côté du plat de sa partenaire, et sortit de table.

Lori entendit le verrou de sa chambre se fermer et des sanglots s'élever à l'autre bout de la table. C'était Delta. Celle‑ci s'aperçut rapidement que sa tribut l'observait mal, repéra un tissu en soie faisant office de serviette avec lequel elle s'essuya les yeux et se moucha, avant de prendre la parole d'une voix bouleversée :

« Tu ne le savais peut‑être pas... commença‑t‑elle, s'adressant à Lori. Mais je suis véritablement la seule personne à comprendre réellement Indy chouchou ! Étant sa bibliothécaire et gagnante des Hunger Games préférée...

— Ta gueule. »

La mentor prit son air choqué habituel, et Lori, ne souhaitant pas débattre avec quelqu'un qui n'en valait pas la peine, se leva à son tour et quitta la pièce sans un mot ni un regard en arrière.

Elle s'enferma aussi dans sa chambre et s'assit sur son lit. Il était moelleux, mais moins confortable que celui qui l'attendait dans le 4. La couverture bleu marine était de la même couleur que son ruban, et que les yeux d'Indigo. Tout en repensant à la scène qui s'était déroulée il y a quelques instants, Lori attrapa la télécommande et alluma le ventilateur de plafond qui commença à tourbillonner aussi rapidement que ses pensées, dans un bruit assourdissant. Impossible de se concentrer.

La tribut du 4 partit se brosser les dents, le temps d'aérer sa chambre, puis éteignit la machine infernale, s'allongea sur son lit glacial, et ferma les yeux, se remémorant Indigo et son monologue. J'ai presque rien compris, mais il a dit qu'il aime pas quand les gens le respectent pas, ou un truc comme ça... se rappela Lori. Pff, il se rend pas compte qu'il se plaint de ce qu'il fait lui‑même aux autres. Se souvenant de toutes les fois où Indigo avait privilégié sa lecture au maintien de ses relations avec sa meilleure amie ou même son frère, Lori eut une illumination. Son partenaire de district était peut‑être bien sincère lors de ses explications, l'autre jour. Il veut m'aider et aider Hil pour se faire pardonner d'avoir été un ami et un frère de merde. Peut‑être. Elle soupira longuement en regardant le plafond orné de motifs dorés, représentant des feuilles de laurier qui étaient aussi présentes dans le drapeau de Panem. Bon, je verrai si je le pardonne... s'il était vraiment sincère, pensa‑t‑elle après un moment de réflexion. Et j'ai pas envie qu'on s'entretue pendant les Jeux, alors je serai sympa avec lui si jamais on a une arène pourrie et qu'il est sur les nerfs comme ce soir... Puis, promettant qu'elle obtiendrait la victoire quel que fût le paysage dans lequel ils devraient participer, Lori referma les yeux et s'endormit.

Les 19èmes Hunger GamesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant