Chapitre X

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Mya

Nous n'avions qu'une nuit de répit avant d'attaquer la compétition musicale et pour celle-ci, j'étais fichue.
Je ne savais pas jouer d'un instrument, ce qui était apparemment crucial pour devenir membre de la famille royale.

Alors le soir je faisais les cents pas dans ma chambre, en espérant qu'Alvar apparaîtrait pour m'aider.
Et ce fût le cas.

À minuit elle toqua à ma porte et se présenta dans une robe peu décente.

— Je- je ne voulais pas venir t'aider au départ... mais tu as besoin de moi et jamais je ne me le pardonnerai si tu ne réussis pas cette épreuve... et les autres.

Son ton était hésitant mais elle pensait chacun de ses mots.
Je le sentais.

J'hochais la tête et enveloppais ses épaules d'un châle rouge car je sentais que sa vulnérabilité la gênait.

— Merci...

— C'est normal, mais... pourquoi es-tu venue dans une tenue pareille ? demandais-je en pouffant.

— C'était une décision de dernière minute et j'avais peur que tu te sois endormie.

— Comment aurais-je pu dormir alors que je peux mourir dès mon réveil ?

Elle haussa les épaules, car elle aussi ignorait la réponse.

— Bon aujourd'hui, enfin cette nuit je vais t'apprendre à jouer du piano. Même si c'est assez compliqué c'est l'instrument le plus sûr.

J'hésitais puis j'acquiesçais, après tout, je n'avais guère le choix.

Alors nous étions là, assises côtes à côtes sur le banc, frôlant les touches du piano qui avait apparu par magie, comme si tout dans ce palais obéissait à Alvar.
Mais évidemment ce n'était pas le cas, il n'obéissait qu'à l'héritière... d'après Ilmatar.

Elle m'apprit des morceaux en décomposant chaque ligne. À jouer de la main droite, puis gauche et les deux. Ce n'était vraiment pas simple. Chaque note, chaque partition me retournait le cerveau tellement il était dur de comprendre comment cela fonctionnait.

Il y en avait tellement, j'ai dû en apprendre trois mais je ne comprenais pas. N'étions-nous pas censés jouer qu'une seule fois ?
Ou les règles n'étaient pas les mêmes ? Car il était pertinent qu'Ilmatar m'aurait prévenu si un changement aussi important avait été annoncé.

Nous y étions encore le matin, mais c'était pour la bonne cause.
Nous le savions.
Lorsque je connaissais le morceau principal par cœur des deux mains elle m'applaudît et s'amusait par la suite à le jouer avec moi.

Ce qui donnait un duo assez improbable. Mais pas mauvais. Surtout pour une pianiste d'une nuit.

— Bravo Mya, je-, elle bailla, suis fière de toi. Tu vas assurer.

Je pensais qu'elle partirait sans rien dire, comme hier mais non, elle m'encourageait même.

— Merci Al.

Elle se mit à rougir, et je plaquais mes mains sur ma bouche.
Je venais de lui donner un surnom ?!

Morte de honte je sortis de ma chambre avant de me rendre compte que je n'étais pas en tenue pour l'épreuve.
Je rentrais bredouille dans ma chambre et fis par à mon mentor qu'il fallait que je me prépare.

Elle hochait la tête et pris la robe qui était posée sur une chaise.
Celle-ci était en forme sirène de couleur bleu.

— Je vais t'aider à t'habiller sinon tu seras en retard.

— Mais...

Elle pencha la tête en attendant ma contestation mais je ne dis rien.
Elle avait raison et je ne voulais pas être en retard...

Lorsque je retirai ma robe de chambre, dos à elle, je sentais son regard sur moi et fort heureusement, elle ne voyait pas que j'étais à ce moment, rouge de honte.

Elle m'aida à passer la robe qui était accompagnée d'un châle et de talons hauts.
Je me demandais comment je faisais pour ne jamais tomber avec ces instruments de torture.

Une fois habillée, coiffée et maquillée, Alvar m'indiqua où se trouvait la salle de concert.
Je m'y rendais donc un peu à l'aveugle mais lorsque j'entendis des violons s'accorder il fut simple de suivre le son.

Dans la salle de concert les conversations allaient de plus belles.
La haute société était installée dans les fauteuils rouges et les participants attendaient en coulisses, alors je m'y rendis sous le regard agacé de Sereia.

Nul besoin de me préciser que j'étais en retard, je le voyais dans le regard de tous les participants.

Sereia demanda le silence.

— Mesdames et Messieurs, Majestueux, Rêveurs et Oubliés, bienvenue à l'épreuve de musique où les participants vont s'affronter sur scène. Seuls leurs instruments seront leurs armes alors, que le défi musical commence !

Un défi ?!

Je regardais Ilmatar qui elle aussi semblait étonnée.

Au grand jamais il était question de défi, nous étions censés donner une représentation.

Le public applaudit Sereia et se réjouissaient de la surprise qu'était ce défi.

— Cela se déroulera en deux parties divisées en quatre.
« Trois groupes de deux seront formés afin de créer des duels. Ils s'affronteront en solo. Puis les gagnants de chaque groupe s'affronteront dans un trio exceptionnel. Le meilleur musicien remportera un prix spécial, tandis que les deux finalistes auront des privilèges. Mais les perdants seront renvoyés chez eux »

Cela annonçait-il la fin des exécutions ?
Les risques étaient à présent diminués...

Je tenais le bras de mon amie, cette fois ils ne laissaient plus le « hasard » jouer. Nous allions nous affronter pour de vrai, et ce, dans la plus grande élégance, sans bataille ni sang.

J'affrontais Ahmes, mais nous passions juste après Ilmatar contre Fenrys.
Nous allions nous affronter entre amis, c'était ça le plus dur.

Tandis que Fenrys s'exécutait parfaitement au violon dans une mélodie envoûtante, Ilmatar semblait avoir du mal à accorder sa contrebasse qui n'en faisait qu'à sa tête.
Je grimaçais à la fin de sa représentation, il était évident que mon amie ne se retrouverait pas en finale...
Mais au moins, elle pouvait vivre.

Quand fût notre tour, je tremblais.
Ahmes passa en première. De sa robe blanche aux coutures dorées elle prenait toute la place sur scène par sa présence.
Elle jouait de « la vielle à roue » m'avait expliqué Ilmatar.
C'était un instrument élégant, doté de cordes et d'une manivelle. Je me doutais qu'il appartenait à l'époque médiévale.

Ahmes commença à jouer la mélodie de sa main gauche tandis que l'autre tourna la manivelle.
Dans une valse entraînante elle fît danser les spectateurs ce qui lui valut les applaudissements des jurys.
Son instrument était hypnotisant, autant que par sa musique que par son mouvement.
Je comprenais la réaction du public, et je comprenais aussi que c'était à mon tour d'être éjectée de la compétition.

Peut-être trouverais-je une cabane où vivre, avant de peut-être retourner dans mon monde ?

Les dernières notes se firent entendre et un tonnerre d'applaudissements acclamait Ahmes.

Les jurys notèrent les commentaires sur la représentation puis je fus appelée.

Un piano avait été amené. C'était ici, un instrument peu populaire car il était « trop simple » d'après les habitants d'Eryx.
Mais j'allais leur montrer que je pouvais m'élever parmi les autres participants.

« Run : Ludovico Einaudi (2;10) »

Ma main droite commença un air de classique aux temps de « Ludovico Einaudi », dont les musiques étaient inconnues ici, sauf de mon mentor qui avait miraculeusement entendu ses musiques.

Je ne m'étais pas posé plus de questions.

Ma main gauche suivait la mélodie doucement, comme pour monter crescendo.
Je m'imaginais un violon m'accompagner, comme une scène romantique d'un film que j'avais partiellement vu à travers la fenêtre d'un inconnu.

Le violon était vraiment là, en tout cas je l'entendais, mais aucun ne réagissait, nul ne bougeait. Avais-je des hallucinations ?
Mais le regard de mon mentor au loin m'indiquait bien qu'elle n'y était pas pour rien.
Elle tenait un violon, mais seule moi entendait sa musique, comme un duo silencieux.

Les notes allèrent crescendo pour le violon, comme pour le piano.

Alors mes émotions se furent plus fortes, plus concrètes et réelles.
Je voyais les yeux brillants des jurys qui regardaient sans le savoir un duo magistral.

Alvar était une virtuose, cela s'entendait très bien. Alors je la suivais les yeux bandés. Je me laissais guider dans cette épreuve où seule la musique nous permettait de gagner, non, les émotions aussi.
La trace d'une romance.

La musique se fit plus rapide, plus complète. Je jouais, les larmes aux yeux tout en regardant mon entraineuse. Ma partenaire de musique.
J'appuyais sur les notes comme si ma vie en dépendait, comme si perdre signifiait dire au revoir à Alvar, à mes amis.

Je ralentissais, et finissait en douceur sur les dernières notes.

Le jury se leva ainsi que la salle entière. Je voyais les larmes dans les yeux de chaque spectateur.
Dans les coulisses l'émotion était à son apogée et dans ses yeux d'ambre je voyais la fierté et une autre émotion, plus forte que toutes les précédentes.

Mais ce n'était pas terminé, il fallait encore que le jury détermine.

Ce fut à Nixie et Raihn qui étaient tous les deux incroyables, l'une à la flûte traversière et l'autre au violon. Leurs solos étaient vraiment exquis, j'avais donc hâte de voir qui irait en finale.

— La première partie est terminée, annonça Sereia, le jury va appeler les trois finalistes.

L'elfe aux couleurs de l'eau qui se trouvait au milieu des jurys se leva.

— Les finalistes sont, Fenrys, Raihn et Mya.

Plusieurs émotions me traversèrent. La tristesse, la joie et le soulagement.

Et au loin je vis les mêmes émotions dans le regard d'Alvar.

Nous étions sur la même longueur d'ondes. Mais Ilmatar était à présent en dehors de la compétition.

— Je suis désolée... je savais que c'était important pour toi.

— Tu n'y peux rien, ne t'inquiète surtout pas je peux me relever après tout ça.

Contrairement à moi.

Je me retrouvais face à un ami et un inconnu. Je ne connaissais vraiment pas Raihn, mis à part qu'il était le fils de d'un parent élémentaire, d'un autre qui était un démon et qu'il maniait le vent.

Nous n'avions pas de repos entre les deux parties.
Alors les disqualifiés étaient invités à regarder la finale avant d'aller emballer leurs affaires.
Comme quoi à ce moment de la compétition, tout changeait.

Ils allaient aussi les inviter à manger ?

Je me concentrais sur mon piano.
Face à moi j'avais deux violons.
Deux contre un, ce n'était vraiment pas juste.
À moins que je ne m'allie avec l'un d'entre eux, discrètement.

Je n'avais qu'une seule pensée, gagner.
Mais si gagner résumait à se marier avec l'héritière Aderyn, je pouvais dire adieu à Alvar.

Les doigts sur les touches je me préparais à jouer le morceau que tout le monde avait appris.
Et dans mon cas, je l'avais joué toute la nuit avec l'aide de mon mentor.

« The Tear Maker : Andrea Farri »

Et tout commença.
L'entremêlement des cordes et des touches de piano résonnaient dans tout le théâtre.
Ils grattaient leurs cordes tandis que j'effleurais les touches.

Comme de peur de commencer, et de finir.
Cette mélodie qui déterminera beaucoup de choses.

« — Comment se fait-il que tu connaisses autant de choses sur mon monde ? » avais-je demandé à Alvar.

— La rose des vents.

— La rose des vents ? L'indicateur ?

Elle avait hoché la tête.

— C'est comme ça que j'appelle ces courants d'air qui nous apportent des bribes de conversations.

— Comme, des portails ?

— A peu près. Mais nous ne pouvons les traverser, seuls les sons en sont capables. Certains préfères les ignorer et d'autres, passent leurs journées à les écouter.

J'avais prêté attention à ce qu'elle me disait de longues heures, quand elle me racontait ce qu'elle avait entendu et réalisé, tandis que nous nous entrainions au piano. »

Je me remémorais tous ces moments avec elle. De mon « rêve » à ce moment dans la chambre.
Des épreuves et des entraînements.

Je ne serais pas ici sans son aide.
Alors je jouais avec plus d'émotions, plus de plaisir et surtout plus de motivation. Je ne voulais pas la décevoir. Qu'allait-il lui arriver si je finis éliminée à la prochaine épreuve ?

Je regardais les deux musiciens qui jouaient parfaitement en s'affrontant du regard. Aucun d'eux ne voulait perdre et tous les deux semblaient s'affronter sans penser à moi.

Alors j'en profitais. Je saisissais l'occasion en vol et essayais de briller. De me démarquer du duel. Je ne jouais ni plus vite, ni plus lentement. Mais j'y mettais tout mon cœur et m'ouvrais au public.
J'essayais d'atteindre chacun d'entre eux.

J'essayais d'atteindre Alvar.

Lorsque mon piano était couvert par le son des violons je m'effaçais poliment, pour faire comprendre que ne voulais pas la vedette.
Et cela parut plaire au jury car j'ai obtenu la première place, depuis le début de la compétition.
J'étais arrivée première.

Between Our Worlds [FINIE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant