Souls - Tome 2 - Our Lost Souls - Partie 1

47. Leslie

Avril 2022

Mes pieds nus effleurent le sol froid du studio. Je ferme les yeux et laisse les souvenirs des sensations que ça me procure remonter.

Plus de dix ans sans fouler le parquet d'une salle de danse de cette manière.

Plus de dix ans sans ressentir le rythme pulsé dans mes veines, sans extérioriser mes sentiments.

Travis m'a donné un double des clefs pour que je puisse venir quand bon me semble. C'est ce que j'ai décidé de faire aujourd'hui. J'ai pris un petit-déjeuner, enfilé un ensemble de sport, saisi ma boite à souvenir et je suis arrivée ici. Les derniers aménagements ont été terminés et le lieu est prêt à ouvrir ses portes.

Tressie m'informe de toutes les avancées, comme la distribution des flyers pour recruter. Probablement un moyen de me convaincre de rejoindre l'aventure à ses côtés. Elle tient à garder sa place au sein de son ballet mais également à assurer quelques master class pour les futurs élèves.

Ça fait si longtemps que je ne sais presque plus comment faire. Je lance la musique et clos une nouvelle fois les paupières. Chaque note résonne entre les cloisons et en moi, réveillant des émotions enfouies.

Mes premiers pas sont hésitants et brouillons, pourtant je m'accroche. Mes muscles peinent à répondre aux commandes de mon esprit. Je ne pensais pas que ça serait si compliqué de reprendre après tant d'arrêts.

On dit que c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas.

En m'observant dans le miroir, je ne suis pas satisfaite de la chorégraphie que je produis alors même que le tempo de la chanson est simple à apprivoiser.

Et soudain, quelque chose se réalise dans ma poitrine. Un déclic, une étincelle qui s'embrase. Tout devient plus fluide et naturel.

Je danse.

Comme si ma vie en dépendait, comme si chaque mouvement me libérait. Mes pieds virevoltent sur le sol, mes bras s'élèvent vers le ciel et pour un instant, j'ai l'impression d'être de nouveau une adolescente passionnée.

Quand la musique s'achève, je reste là, le souffle court. Mon cœur bat la chamade, frappe de toutes ses forces contre mon thorax. Mes muscles me tirent d'une manière agréable, j'imagine déjà les courbatures du lendemain.

Je ne me suis pas sentie aussi heureuse et fière depuis longtemps.

Je réitère sur plusieurs chansons, plus ou moins contemporaines. Puis ma boite à souvenir m'appelle. Enfin, plutôt mes chaussons qui s'y trouvent. Ils sont usés et probablement trop petits. Encore hésitante, j'installe une barre portable au centre de la salle. Je commence par m'étirer et remarque que j'ai quand même conservé une bonne souplesse. Certaines figures demanderont un peu plus de travail mais je parviens à refaire la majorité. Alors que je répète le même enchainement depuis un moment, j'entends distinctement la voix de Tania, ma professeur, dans ma tête.

— Dégagé... et flex... et pointe... et posée première.

Je l'ai tellement reproduit que je pourrais presque le faire en dormant. J'enchaine avec des pliés, des battements, des échappés et aussi des développés pendant plus d'une heure. Je retrouve peu à peu d'anciennes habitudes et sensations enfouies depuis longtemps.

Tant mieux pour mes pieds, il reste quelques pansements dans mon sac. Mes orteils sont comprimés dans le chausson et me lancent mais je balaie la douleur d'un revers de la main. Je commence par de nombreux exercices pour échauffer mes chevilles et mes articulations avant de monter sur mes pointes.

— Oh putain ! geins-je.

J'avais oublié à quel point ça faisait mal. Je dois serrer les dents pour poursuivre. Heureusement qu'il n'y a pas d'enfants vu les jurons que je prononce toutes les trois minutes. J'ignore combien de temps exactement je m'entraîne et renoue avec ma passion. Quand je me regarde dans le miroir, j'observe mon visage rougi par l'effort et l'énorme sourire qui étire mes lèvres.