Fut un temps où Derek aurait adoré pouvoir revenir dans le passé. De quelques années. Il aurait voulu arranger les choses, refaire l'histoire sans avoir à en rebâtir une comme il avait dû le faire dans cette vie-là.
Et pourtant, si on lui proposait de rembobiner jusqu'à atterrir quelques semaines en arrière, il refuserait aussitôt. En ce temps-là, si proche et si lointain à la fois, Derek ne connaissait rien de l'envie croissante de Stiles de s'en aller bientôt... N'aurait jamais ne serait-ce qu'imaginé l'existence de ses idées sombres et de leur portée. Il avait dans le cœur une lourdeur sans égale, laquelle était restée cachée derrière cette dévotion pour le moins acquise. Alors s'il avait remonté le temps, nul doute qu'il n'en aurait jamais rien su et qu'il aurait fini par découvrir, un matin... L'absence. La disparition inexpliquée, l'envol soudain d'un être blessé qui n'aurait pas laissé la moindre trace. Stiles savait y faire, lorsqu'il s'agissait d'établir des plans... De mener ceux-ci à bien. Si son départ avait eu lieu, personne n'en aurait rien su avant un moment... Le temps pour lui de creuser l'écart, d'augmenter cette distance physique pour mieux compenser celle, morale, qu'il subissait en silence depuis des mois.
Derek se redressa et laissa son regard balayer la chambre. Elle était habitable, spacieuse... Mais un peu vide, poussiéreuse aussi. Les premiers jours, Stiles s'était attelé, entre ses mille et unes activités, à décrasser une grosse partie du manoir, en particulier les pièces que les loups pouvaient occuper. Ils n'avaient pas touché à celle-ci, mais l'hyperactif y avait fait l'essentiel. Et Derek nota tout ce qu'il avait à y faire de son côté. Pas maintenant, plus tard. Les vitres, certains meubles, un coup sur le sol... Cette chambre, il l'aimait bien, mais il ressentait le besoin de commencer à penser à la rendre plus agréable à vivre. De façon générale, le manoir dans son entier avait besoin d'un rafraîchissement – et d'une remise à niveau, quelque part. L'isolation n'était pas mauvaise de ce côté-ci, mais au rez-de-chaussée, elle avait besoin d'être refaite. Cet endroit, ce lieu qui avait abrité la vie d'une famille heureuse et aimante... Servait aujourd'hui à cacher et aider une meute. Ce simple fait justifiait à lui seul que Derek retrousse ses manches et se mette au travail – tout pour ne pas penser aux souvenirs, à l'exacte raison pour laquelle il n'avait jamais rien touché. Remuer le passé, ce n'était pas son truc, mais il s'avérait que celui-ci... Pouvait servir, aider.
Alors Derek, qui n'aimait pas que les choses changent dans sa vie, y songea toutefois sérieusement. A côté de lui, Stiles se tourna, attirant malgré lui son attention. La tête dépassant à peine des couvertures, le corps en boule sous les draps, il dormait à poings fermé. Il ne faisait presque que cela ces temps-ci et Derek n'irait pas le lui reprocher outre mesure étant donné que se reposer était tout ce dont Stiles avait besoin. Et ce n'était certainement pas avec les récents évènements qu'il allait retrouver sa forme d'antan. Parce que Derek commençait à bien connaître cet hyperactif inconscient : même en dormant, il réfléchissait. Il le voyait à ses traits quelque peu tendus, l'entendait à sa respiration calme... Mais régulièrement changeante. Il y avait ses froncements de sourcils ponctuels, aussi. Légers, visibles malgré tout et une tension dans ses traits qui, bien que discrète, était bel et bien là. Derek se demanda à quels moments Stiles cessait de penser de quelque manière que ce soit. La réponse lui vint tout naturellement et ne le surprit pas : l'humain était une usine de pensées et réflexions en tous genres. Il ne s'arrêtait jamais, pas même lorsqu'il dormait – et c'était en partie cela qui rendait son repos si peu réparateur et son état si lourd.
Ce fut alors au tour de Derek de réfléchir, et sérieusement. Jusqu'ici, il était resté proche de Stiles et l'avait empêché de s'épuiser en faisant mille et une choses, mais... Il ne s'occupait pas de lui à proprement parler. A part le faire se reposer, manger et essayer de le faire parler lorsqu'il voyait en lui une ouverture... Derek ne faisait pas grand-chose. Quoiqu'objectivement, on ne pouvait rien lui reprocher, d'autant plus qu'il avait bousculé ses propres habitudes sans hésiter pour l'aider et lui éviter de se détruire la santé davantage. C'était donc pour cette raison que Derek ne se dit pas qu'il ne faisait pas assez mais que, peut-être... Il devrait essayer de faire les choses un peu différemment. D'agir au sens propre du terme. D'avoir un impact, une influence sur sa guérison mentale. Un seul hic, toutefois : cette façon dont Stiles restait persuadé qu'il n'existait pas. Derek comprenait fort bien l'origine de cette croyance, laquelle servait simplement à le protéger de ce qui, à ses yeux, pouvait le détruire. Le cerveau humain était en cela fascinant de par les techniques dont il usait en guise de défense face à une souffrance jugée inévitable. Enfin, Derek se persuada, tout en poussant un soupir fatigué, qu'il réussirait à lui faire accepter la vérité rapidement. A ses yeux, ce n'était qu'une question de jour et de toute façon... Il connaissait l'intelligence de Stiles, savait que ce dernier finirait par se rendre à l'évidence. Puis parfois, c'était une chose qu'il voyait dans ses yeux. Oui, il doutait. Et Derek l'avait remarqué.
Cela jouerait en sa faveur.
xxx
Le cerveau de Stiles allait de contradictions en contradictions, s'échinant à notifier certaines choses et à trouver à celles-ci une explication contraire à la réalité.
Gestes, regard, toucher. Tendresse, attention, délicatesse.
Que des choses qu'il voyait tout autant qu'il les ressentait ou... Qu'il sentait tout court. Qui devraient l'alerter – et c'était déjà le cas. Mais Stiles éteignait de lui-même ces alarmes qui n'avaient pour but que de l'éveiller et de lui faire prendre conscience de ce qu'il cherchait à tout prix à éviter. Et ce qui était drôle, c'est qu'il évitait désormais de se demander si Derek était réel ou non. Son avis là-dessus ? Flou, instable, pas clair.
Tout simplement parce que ce n'était pas ce sur quoi il se concentrait.
Stiles avait la fâcheuse tendance à laisser son cerveau suivre une seule et même direction – celle de la culpabilité. Elle le bouffait, le mettait face à un chaos intérieur difficile à nommer correctement. Sa position là-dessus ne changeait pas : tout était de sa faute. Il y avait l'état d'Isaac, dont il n'avait que peu de nouvelles, mais pas que. Depuis leur retour au manoir, Jackson et Théo se montraient un peu... Différents, plus tendus peut-être – et Stiles irait même jusqu'à dire angoissés. Le pire dans tout cela ? Il n'arrivait même pas à aller vers eux pour les rassurer. Le faire reviendrait à se forcer, or il n'avait pas l'énergie adéquate pour le faire. Il était là, le hic. Stiles dormait – beaucoup – et se sentait fatigué... Toujours aussi fatigué. Comme si chaque seconde passée les yeux fermés n'était rien de plus qu'un moyen d'avancer dans le temps sans pour autant profiter de ses bienfaits sur son corps, sa tête... Sur son être tout entier.
- Tu pues.
Stiles releva un regard quelque peu absent en direction de Derek, qui se tenait les bras croisés sur le torse, à l'entrée de la chambre. Il haussa un sourcil, incapable de se prononcer sur la réaction qu'il était censé avoir à ce sujet. S'énerver ? S'indigner ? Le bâcher sur son indélicatesse ? Lui dire qu'il n'avait qu'à aller ailleurs ? Ça, il n'en était pas capable, car chaque moment qu'il passait sans le voir lui faisait peur. Ainsi, il espérait toujours ceux-là courts, brefs... Facilement oubliables.
- Il faut que je me lave maintenant ? Demanda-t-il plutôt.
Si une lueur aussi étrange qu'indescriptible apparut dans les yeux de Derek, celle-ci disparut presque aussitôt. Stiles, de son côté, ne prit pas la mesure de l'incongruité de ses propos.
- Ce serait préférable, finit par répondre son hallucination après s'être nerveusement raclé la gorge. Dans vingt minutes, on mange.
Stiles ne fit rien de plus qu'hocher la tête.
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Just a little rest
FanfictionStiles se retrouve avec un problème de taille sur les bras : sa meute, transformée en loups. Il va s'occuper d'eux sans compter, jusqu'à se négliger lui-même. Alors que les choses commencent à être difficiles pour lui, il va recevoir une aide inatte...
