Chapitre 26

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Derek ne connaissait peut-être pas très bien Stiles, mais il commençait toutefois à repérer les signes avant-coureurs d'un changement dans son état d'esprit. Et ça, avant même de faire attention à son odeur. Disons qu'il voyait, remarquait des choses.

Et pouvait affirmer que la façon dont il coopérait et accédait à la moindre de ses demandes était suspecte, pour ne pas dire inquiétante. L'hyperactif agissait comme un robot, de façon automatique et ce, sans jamais le regarder. Ainsi, il avait mangé un peu plus qu'il ne le faisait récemment, mais pas parce qu'il en avait eu envie – Derek lui avait simplement demandé s'il en était capable, en ajoutant que ce serait bien qu'il commence à se nourrir davantage. Autant dire qu'il n'était pas près de relâcher sa garde à son égard. Il ne pensait pas Stiles capable de faire une bêtise en tant que telle. Son inquiétude résidait plutôt dans ce qu'il pourrait ne pas faire. Autrement dit, se négliger plus qu'il ne le faisait déjà. Juger le fait de manger inutile.

Il y avait aussi ces regards qu'il lançait parfois aux loups lorsqu'il en voyait passer certains. Et ils n'auguraient rien de bon. Parce qu'à côté de cela, Stiles avait réduit son débit de paroles, déjà fort léger ces derniers temps, de moitié. Il multipliait les absences momentanées, aussi. Au moins, il laissait Derek prendre soin de lui... Et c'était bien de ça qu'il s'agissait. Il ne se contentait pas de l'aider. Parfois, il sentait qu'un contact pouvait le détendre, alors il s'exécutait. Lui prenait la main, caressait distraitement son dos. Et puis la nuit, il continuait de dormir avec lui. La nuit était d'ailleurs peut-être le seul moment où Stiles lui apparaissait à nouveau humain : il cessait d'être absent et s'autorisait quelques larmes... Sans se départir de cette espèce de mutisme qui le poussait à ne rien dire, si ce n'est répondre à ses questions de façon laconique lorsqu'il lui en posait.

Et tout ça depuis ce funeste jour où trois des loups du manoir s'étaient retrouvés pris en chasse dans la forêt. Si Théo et Jackson allaient parfaitement bien, l'on n'avait que peu de nouvelles d'Isaac, dont on savait juste par Deaton qu'il était encore en vie. Du reste, on stagnait sans informations supplémentaires, parce que le vétérinaire peinait à statuer sur l'avenir potentiel du loup-garou. Enfin, Stiles n'avait rien retenu de plus que le fait que son pronostic vital restait engagé.

C'était donc un regard coupable qu'il lançait parfois à ces loups indemnes qui pleuraient l'absence de leur ami aux yeux bleus. Eux aussi souffraient. Autant dire que le cœur de Stiles ne s'allégeait pas et que ses prunelles continuaient de s'assombrir.

Mais Derek continuait de nager dans l'inconnu parce qu'il savait qu'il n'était pas au courant de tout. Stiles ne lui avait pas dit grand-chose, si ce n'est qu'il avait une erreur à réparer. Quelque chose qu'il avait, selon ses propres mots, faits. L'ancien alpha avait compris qu'il s'agissait de quelque chose concernant les loups... Et c'était tout. Depuis, Stiles se montrait parfaitement laconique quel que soit le sujet.

Et le pire, c'est que Derek n'arrivait pas à prendre le taureau par les cornes, à se lancer. Il s'agissait de trouver le moment adéquat et les bons mots pour aborder le sujet. De passer outre sa peur de le froisser, d'empirer les choses. Ainsi, chaque fois qu'il faisait quelque chose, il prenait moult précautions et faisait en sorte de ne rien laisser au hasard. Il était presque à lui demander de crocheter à nouveau avec les affaires de sa mère... Sans que cette idée ne provoque chez lui la moindre once de colère. Oublié l'espèce de ressentiment qu'il avait au départ contre lui : oubliée son obsession de garder lesdites affaires vierges de tout nouveau contact avec Stiles. Derek alla même jusqu'à se dire que sa réaction face à cette découverte était complètement stupide et qu'elle avait partiellement provoquée cette situation si particulière. Et en même temps... Qui pourrait le blâmer de n'avoir su retenir ses instincts primaires ? Le fait est qu'il avait appris de cette erreur et ne la reproduirait plus. Elle avait, selon lui, précipité bien des choses, dont ce renfermement de la part de Stiles.

C'est ainsi que le loup-garou entreprit de la réparer sans savoir ce que Stiles désirait, de son côté, faire. S'il lui en avait touché un mot, il n'était pas encore allé jusqu'à lui avouer ses intentions. Le tout était donc de continuer de prendre soin de lui et de faire en sorte qu'il s'ouvre. Ce qui était bête, c'est qu'il l'avait déjà fait... Comment alors réitérer l'exploit ? En faisant preuve de patience.

Par chance, Derek en avait à revendre.

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Stiles regardait sans comprendre le crochet et la pelote qui trônaient sur la table de nuit. Très honnêtement, il ne comprenait pas ce que ces deux objets si chers à son cœur par leur nature faisaient là. Bien sûr, ils n'étaient pas arrivés là tous seuls, mais l'humain ne comprenait pas ce qui prenait à Derek. Il n'arrivait pas à se dire que celui-ci puisse penser différemment depuis le jour où il l'avait surpris en train de crocheter. Pour lui, c'était carrément impensable – stupide. Mais de son côté, il avait compris que c'était mal.

Peu de temps après, il y avait eu cette sortie impromptue des trois loups, ces bruits de tir. Puis ce sang sur le corps d'Isaac qui continuait de hanter Stiles au point que celui-ci en rêve la nuit. Une semaine s'était écoulée et il n'arrivait pas à se dire que ça allait. Pourtant, Deaton avait fini par l'appeler, lui dire que son ami était tiré d'affaire, même si la chose n'était au départ pas gagné. Par souci de bien faire, le vétérinaire le gardait au cabinet pour l'instant.

Mais Stiles n'était même pas heureux de cette nouvelle, pourtant si bonne ! Parce que la culpabilité qui le rongeait était plus forte que tout le reste. Elle le bouffait.

Car il avait fini par penser que si cet évènement avait eu lieu, c'était parce qu'il avait osé toucher aux affaires de la famille de Derek. Un retour en pleine face de sa bêtise, un coup du sort... Une sorte de karma. Autant dire que Stiles n'était pas près de recommencer à vivre pour lui-même de sitôt. Déjà qu'il s'en voulait d'avoir si mal parlé à sa meute, c'était encore pire depuis qu'il en était venu à cette conclusion aussi bête que farfelue : mais pour lui, elle avait du sens. Son mal-être parlait pour lui, lui faisait voir les choses sous un prisme bien sombre où tout et n'importe quoi pouvait changer de valeur.

Et pourtant, la tentation de renouer avec cette passion secrète était là. Sans le torturer, elle lui titillait quand même l'esprit au point de lui faire tourner la tête vers ce crochet et cette pelote de temps à autres. Chaque fois qu'il envisageait – même très légèrement – de s'en emparer, le pelage rouge d'Isaac se rappelait à son bon souvenir. Stiles commençait à tout associer, à tout mélanger. Alors il ne faisait rien.

Se contentait de s'exécuter lorsque Derek lui demandait de faire quelque chose. De manger, de se laver. D'aller aux toilettes, il n'attendait pas que son hallucination lui fasse remarquer qu'il avait parfois des besoins à faire : dans son esprit torturé, c'était la honte. Mais sans elle, sans cette illusion qui le maintenait debout, Stiles ne ferait véritablement plus rien, si ce n'est s'occuper de ses petits loups.

Loups desquels il ne s'approchait finalement plus. Le cours de son existence s'était complètement inversé. Le peu qu'il faisait le concernait et du reste... Il n'allait plus voir aucun de ses amis. Ses uniques déplacements se limitaient à la cuisine et la salle de bain, comprenant les toilettes : le reste du temps, il ne quittait plus sa chambre. Pourquoi faire ? Il n'en avait pas envie.

A vrai dire, il n'avait plus envie de rien, ne voulait pas affronter ce qu'il considérait comme le fruit de ses agissements. Faire un lien qui n'existait pas le rassurait malgré tout. Il avait besoin de trouver un sens à ce qu'il se passait, un sens à sa déchéance.

Au final, il n'était peut-être même pas certain de réellement désirer réparer ses erreurs.

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