Chapitre 15

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Cahin-caha, entre frustration croissante et appréciation de chaque minute passée à deux, le dernier vendredi des congés scolaires était arrivé, marquant la fin de leur parenthèse laborieuse. Martin était parti le matin même à Paris pour y chercher ses neveux et à bout de nerfs, Johan y vit l'occasion inespérée de s'éloigner un peu. Un sac sommaire à l'épaule, il ferma sa maison avec soulagement et s'engouffra dans son camion, direction Montpellier et une soirée de débauche programmée. Les dix jours passés à travailler côte à côte prenaient des airs de rêve éveillé, à remiser très loin dans sa mémoire, au fur et à mesure que les kilomètre défilaient sous ses roues et son nervosité s'apaisaient. Cette pause, aussi bien dans son désir lancinant que son son travail éreintant, il l'avait bien mérité. Ne serait-ce que pour restaurer sa réserve à deux doigt de s'effilocher. La tension de plus en plus épaisse, mélange redoutable d'attraction purement sexuelle et de connivence affectueuse, qu'il avait senti monter inexorablement entre son commanditaire et lui pourrissait autant ses jours que ses nuits et prendre du recul devenait une nécessité. Alors que l'utilitaire brinqueballait sur l'autoroute, Salon-de-Provence et le Parc des Alpilles dans le rétro, il repoussé délibérément les réminiscences des heures trop heureuses passées en présence de Martin ainsi que la multitude de petits détails, de la sonorité légère de son rire à ce trou agaçant dans son jean favori, dévoilant un genoux laiteux, dont la persistance lui faisait grincer des dents. Heureusement, le chantier était en très bonne voie d'avancement et très bientôt, il pourrait instituer la distance dont il avait foutrement besoin pour retrouver sa modération. Et une ou deux soirées consacrées à baiser étaient précisément ce qui allait l'y aider.

Arrivé dans la grande ville, Johan manœuvra dans les rues étroites et de plus en plus bouchées par la foule de la sortie de bureaux et poussa un soupir de soulagement en atteignant le parking privatif et fermé qu'il avait réservé en ligne. Son camion était son outil de travail et il était hors de question de jouer à la loterie en le laissant à la portée du premier connard venu, à l'affut d'une occasion de le détrousser. Dans une balade qui lui était familière, après toutes ces années, il remonta le Boulevard Victor Hugo puis bifurqua dans l'hypercentre, luttant contre son léger malaise habituel face aux rues surpeuplées et bruyantes. Il aimait bien cette ville, au charme jeune et cosmopolite, et appréciait les commodités qu'elle offrait mais n'y aurait décidément vécu pour rien au monde. Cédric, son ami, n'avait pas ses réserves, lui. Rat des villes et adepte des sorties, il habitait à deux pas de l'Eglise Saint-Roch, en plein cœur du quartier estudiantin de la cité, et c'est avec soulagement que Johan sonna enfin à l'interphone alors que les bars et cafés autour de lui se remplissaient d'une foule bien décidée à profiter du week-end qui commençait.

- C'est moi, annonça-t-il après un grésillement strident annonçant que son hôte était au bout du fil.

- Nickel, pile à l'heure! Je t'ouvre, monte! 

La porte vibra et Johan entreprit l'ascension des trois étages étroits de l'escalier qui le séparait de son ami. La seule et unique personne en ce bas monde dont il pouvait dire, en vérité, qu'elle connaissait le vrai lui.

Il tapa par convention sur le battant laissé entrouvert et sans plus de façons, se déchaussa en pénétrant dans le salon lumineux mais toujours aussi désordonné. Si sa sœur avait râlé et grogné contre l'organisation aléatoire de son garage, elle aurait sans doute fait un infarctus devant la vision dantesque des piles de livres en équilibre et prêtes à s'effondrer, les revues d'art, de politique et de culture déjà feuilletées, les mugs de café à demi vidés sur chaque surface plane et les cendriers sur le point de déborder. Mais Johan s'en foutait. Habitué des lieux, il se sentait à l'aise et chez lui dans le trois pièces désorganisé et c'est sans hésiter qu'il s'avança et fit trois pas jusqu'à la silhouette efflanquée qui lui ouvrait les bras, dans une étreinte rugueuse dont lui et son ami avaient le secret.

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant