Chapitre 1

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Les roues de l'énorme SUV, lourd à conduire, horrible à garer, firent rouler les gravillons de l'allée dans un crissement sourd et Martin coupa le moteur, accueillant l'immobilité soudaine avec un soulagement infini. Ils étaient arrivés. Il l'avait fait. Il avait réussi. Il posa ses mains un peu tremblantes sur le volant recouvert de cuir factice et souffla profondément, repoussant au loin la fatigue et l'angoisse qui le poursuivaient depuis maintenant neuf cent kilomètres et deux jours de route. Il sentit la vague d'épuisement qu'il combattait depuis des heures le submerger et bailla largement. Il était à deux doigts de laisser sa tête tomber en avant et s'endormir sur place lorsqu'une voix juvénile et pleine de jugement articula, juste à côté de lui.

- On est arrivés bien plus tard que prévu.

Martin ne releva pas l'âpreté volontaire des propos et se contenta de marmonner, sans même bouger :

- Merci Captain Obvious. J'avais remarqué.

Un haussement d'épaule blasé lui répondit et il soupira intérieurement. S'armant du peu d'énergie qui lui restait, il se redressa en grimaçant et se tordit le cou pour inspecter l'arrière, toujours silencieux, du véhicule rempli jusqu'à la gueule. Heureusement, aucun des trois petits passagers ne s'était réveillé à l'arrêt des vibrations et au silence soudain et ils dormaient toujours comme des petits anges. Affaissés sur leurs rehausseurs, Leslie et Antonin s'appuyaient l'un sur l'autre comme deux culbutos épuisés aux cheveux sombres, se servant réciproquement d'oreillers. Dans son siège cosy Alice, sa minuscule princesse, pourchassait ses rêves dans un sommeil de bébé satisfait. Merci tous les dieux pour ce petit miracle. Gérer trois enfants épuisés et excédés aurait été bien au delà ses capacités, à cette heure-ci. Et tant pis pour l'espoir fou d'arriver à destination en début de soirée.

Martin décrocha sa ceinture et baissant la voix, il annonça à Soan :

- Mme Lapers devrait être là pour nous donner les clés, normalement. Je vais voir si elle nous attend à l'intérieur de la maison. Tu veux rester dans la voiture ou tu viens avec moi?

L'adolescent roula des yeux mais amorça néanmoins un mouvement vers la porte et Martin se garda bien de commenter son choix. Depuis quelques semaines, il avait appris à ses dépends que traiter avec un jeune homme malheureux et plein d'hormones ne se faisait qu'avec moults pincettes, énormément de patience et bien plus de mots ravalés que prononcés. Ce n'était pas évident mais pour le moment, il s'y tenait. Il hésita mais laissa la portière avant entrouverte de quelques centimètres. La nuit d'avril était douce, dans le sud, et il ne voulait pas prendre le risque de manquer le réveil soudain d'un des petits. D'un pas que la fatigue rendait lourd, il se dirigea vers la silhouette cossue que dessinait la nuit et qui devait être leur destination. Leur nouvelle maison.

Il était difficile d'en distinguer grand chose à la seule lueur de la lune et des étoiles. La petite ville dont le nom clignotait sur son GPS depuis deux longues journées était toute proche, pourtant, ses premiers lotissement et ses éclairages publics à une centaine de mètres à peine. Mais avec les grands arbres qui bordaient le jardin et la rondeur des collines qui le surplombaient, l'impression d'isolement était profond. Et la luminosité ambiante pour le moins minimale. Il avait vu des photos, bien sûr, mais pour ce qui était d'apprécier - ou pas - la propriété qu'il venait d'acheter, cela devrait attendre le lendemain matin.

Il s'apprêtait à frapper à la lourde porte de chêne, Soan silencieux dans son sillage, mais elle s'ouvrit devant lui et la luminosité brutale le fit ciller. Une voix chaleureuse retentit dans le calme de la nuit et une main amicale le tira vers l'intérieur. Une bouffée opulente d'une odeur florale et capiteuse lui fit frémir le nez, le mettant en grand danger d'éternuer, et un peu décontenancé, il se laissa entraîner.

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant