Chapitre 12

178 35 18
                                    

C'est le cœur partagé entre anxiété, soulagement et culpabilité d'être soulagé, que Martin referma délicatement la porte de l'appartement derrière lui et effectua les trois pas qui le conduisirent dans l'ascenseur. Le bip discret du bouton le fit tressaillir et le mouvement de descente lui donna le vertige. Il déglutit, une impression d'irréalité le guettant à chaque instant. Il était seul, pour la première fois depuis des mois. Après des semaines entières à s'occuper de ses neveux, une sensation de vide aussi exaltant qu'angoissant l'envahit et il inspira vivement à l'idée que pour près de quinze jours, il retrouvait sa liberté. 

Cette pensée avait à peine traversé sa tête que son pouls s'accéléra et qu'une nouvelle vague de remords le submergea, le faisant grimacer. Il la repoussa fermement et souffla, convoquant toute sa rationalité face au sentiment de perte et d'inquiétude qui le menaçait. Les enfants étaient heureux, les enfants étaient en sécurité. Les enfants étaient en vacances, bordel, pas largués en pleine jungle sans rations de survie. Quant à lui, et pour quasi deux semaines, il était aussi libéré de toute responsabilité qu'à ses vingt ans. Sauf qu'à vingt ans, il n'éprouvait pas cette sensation étrange de désœuvrement et ce manque immédiat des bavardages et pépiements enfantins qui le suivaient continuellement. À vingt ans, il ne s'inquiétait que de lui et cette version de lui-même, cette version de ses vingt ans, avait définitivement péri. Arrivé dans la rue, Martin leva les yeux vers la fenêtre du troisième étage de l'immeuble moderne où résidait Mamie Céline, comme réticent à poursuivre sa route, puis se colla une baffe métaphorique pour se forcer à remuer son cul. Il n'aurait jamais imaginé qu'il lui faudrait aussi peu de temps pour se transformer en mère poule flippante mais c'était bien le cas et il secoua la tête, partagé entre ironie et consternation. Il était vraiment foutu... Mais d'un autre côté, Martin s'accordait quelques circonstances atténuantes. S'il n'éprouvait aucun stress quant au séjour des enfants chez leur grand-mère paternelle, même si elle ne l'était de sang que pour Alice, ce n'était pas la même tisane avec ses propres géniteurs chez qui les bambins devaient séjourner la deuxième semaine de leurs congés. Les enfants ne les avaient quasi côtoyés, avant le décès de leur mère. Et si cet éloignement avait permis au juge des tutelles de prendre la bonne décision en ce qui le concernait, à savoir confier lui fratrie et non pas à leurs grands-parents, ce n'était pas de nature à rassurer le jeune tuteur quant aux jours à venir. Seule la pensée que Soan s'était arrangé pour en repartir rapidement, invité chez des amis parisiens qu'il était très heureux de retrouver, était de nature à le rassurer. L'aîné des enfants était le plus en butte à la toxicité de ces gens et ainsi, il n'aurait pas à la supporter bien longtemps. C'était déjà ça, même si pas idéal pour les trois cadets. Sans la nécessité impérieuse de prouver aux autorités qu'il veillait à créer des liens familiaux les plus harmonieux possibles, en l'absence de preuves effectives de leur malveillance, il aurait évité comme la peste d'exposer ses neveux à leurs grands-parents.

Martin chassa ses inquiétudes avec résolution. Il n'avait pas le choix, de toute façon, aussi il ne servait à rien de s'angoisser sur ce qui risquait de se passer. Au contraire, il devait plutôt se réjouir d'avoir devant lui deux merveilleuses semaines de liberté, et ferait tout aussi bien d'en profiter. Après tout, ce n'était pas si fréquent qu'il était libre de ses mouvements, de retour à Paris, et les sirènes de son ancienne vie insouciante, bars, boîtes et amusements sans entraves, l'appelaient. Il prit la direction du métro d'un pas plus alerte, bien motivé à leur céder.

Deux heures plus tard, les sirènes de la fête s'étaient tues, aphones et résignées. Épuisé et vautré sur le canapé de velours aubergine beaucoup trop confortable, Martin envisageait avec espoir le matelas moelleux de la chambre d'ami de ses meilleurs potes, au grand désarroi d'Amédée. Le grand blond à la minceur distinguée se laissa tomber sur le sofa à ses côtés, ses traits fins déformés de désespoir, et lui secoua l'épaule.

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant