Chapitre 8

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La petite radio bluetooth résonnait étrangement dans l'espace confiné mais ça ne dérangeait pas Johan, qui sifflotait le vieux standard de rock entre ses dents. Il avait attaqué la première couche de peinture spéciale salle de bain sur les parties du mur qui n'étaient pas destinées à être recouvertes de carrelage et l'odeur, prégnante, lui envahissait les sinus, malgré son masque protecteur. Il ne détestait pas ça pour autant. Cela sentait la térébenthine et la colle, le neuf et les solvants, et cette fragrance lui était aussi familière que celle du parfum fruité de sa mère ou de la fumée froide qui suivait son père partout où il allait, lorsqu'il était enfant. Il se sentait à sa place dans cette ambiance de travaux et faire de la peinture le détendait. Même s'il reconnaissait leur caractère défoulant, casser des murs ou retirer du vieux carrelage ne faisaient pas partie de ses tâches favorites. Trop brouillon et trop violent. En revanche, peaufiner le tracé d'une couleur, en assurer le lissage et en admirer le rendu sur un mur parfait était un vrai plaisir et il recula d'un pas pour contempler la cloison qu'il avait bien avancé. Il n'avait pas chômé, depuis trois jours, et les murs avaient chacun reçu une partie de leur revêtement final, même s'il devait passer encore plusieurs couches de blanc et terminer les finitions des carreaux bleus, qui apportaient une ambiance marine douce et agréable. Le lendemain, il prévoyait d'attaquer le déplacement de la baignoire, les branchements de l'arrivée d'eau et le montage de la nouvelle semi-cloison et il espérait terminer le sol en début de semaine prochaine. Il travaillait vite et bien, de manière générale, mais Johan devait s'avouer que la motivation des jolis yeux vert d'eau qui s'agrandissaient d'excitation à chaque fois que leur propriétaire passait la tête par la porte n'était pas pour rien dans son application particulière pour cette salle de bain. Séduire une truelle à la main, voilà qui lui ressemblait bien. Ou qui aurait pu lui ressembler, s'il avait vécu sa vie amoureuse en toute liberté au lieu de la confiner dans des bars lointains et anonymes. Parce qu'il ne devait pas se leurrer. Rien ne se passerait jamais avec le bel homme chez qui il travaillait, quoi que ses rêveries nocturnes puissent lui suggérer.

L'entrepreneur s'apprêtait à verser un peu plus de peinture dans son bac lorsque le bruit lointain de vociférations résonna dans le couloir et il releva le nez, surpris. La musique en sourdine était passée à une pop insipide et ne dissimulait rien de la dispute qui montait de la chambre du fond. Sans le chercher, il ne put s'empêcher d'entendre les cris stridents des deux belligérants. Il identifia sans mal les voix de Martin et son neveu le plus âgé, Soan, et grimaça en percevant la colère qui transparaissait de leurs échanges. Quelques mots furieux lui parvinrent à travers les murs et il secoua la tête, tâchant de se concentrer sur son travail et d'ignorer les reproches qui volaient. La conversation plus qu'animée ne le regardait en rien et tant qu'aucun signe de violence ne venait requérir son attention, il n'avait pas à s'en préoccuper, même s'il compatissait aux soucis du jeune oncle. S'occuper d'un adolescent ne devait pas être une sinécure, de base, et pour le peu qu'il en avait aperçu, le garçon grognon et mutique ne paraissait pas facile à gérer. Putain, il espérait vraiment que ses neveux ne seraient pas aussi compliqués à manœuvrer lorsque ce serait leur tour, sinon sa pauvre sœur allait en baver.

Être parent seul était affreusement difficile, il en avait bien conscience depuis le divorce houleux de sa grande sœur. Et encore, cette dernière avait fait le choix de se rapprocher de sa famille et pouvait compter sur leur mère et lui-même pour l'aider au quotidien. Il avait souvent dépanné sa frangine, qu'il s'agisse de récupérer un enfant malade à l'école, accompagner un entraînement de football, assurer un babysitting de soirée ou inviter un des gamins pour le weekend, selon le vieil adage de séparer pour mieux régner. Mais au moins, son aînée pouvait profiter de quelques semaines de repos durant les vacances, lorsque le père des enfants se souvenait qu'ils existaient. Et ses neveux, il touchait du bois, n'avaient pas eu à gérer la perte de leur famille et le traumatisme qui en découlait. Il se demanda une seconde de quel système de soutien pouvait bénéficier Martin et en conclut rapidement, et tristement, qu'il n'en avait sans doute aucun.

Après la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant