Chapitre 9 : Schmidt et Smith (et je s'appelle Prokof)

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Helena Schmidt s'amusait beaucoup (car oui oui, une prof documentaliste était capable d'éprouver ce doux sentiment de divertissement). Plus les semaines passaient, plus cela se transformait en une sorte de danse, comme celle qu'on l'on ne voyait que dans des comédies musicales romantiques. Stephen Strange s'amusait à ne communiquer avec le jeune Anthony Stark qu'à coup de livres, et Anthony Stark s'abandonnait à sa tâche avec un entrain qui n'appartenait qu'aux jeunes esprits passionnés dans son genre. Jamais elle n'avait vu Stephen Strange, qui depuis le début de ses études avait quasiment acquis le statut de fantôme, d'aussi bonne humeur. C'est comme s'il était devenu d'un coup plus coloré, ou plus ancré dans la réalité. Et Stark, qui résumait à lui tout seul la vie sociale de tout le lycée, qui semblait draguer tout ce qui bougeait, et qui ne faisait jamais les choses avec le dos de la cuillère, se retrouvait soudainement à faire preuve de finesse, si ce n'était presque de prudence. Il observait Strange comme un chat tâtonne tout doucement ce qui lui est inconnu. Il scrutait chaque geste, chaque sourire, prêtait attention à chacun des mots de l'autre étudiant comme s'il s'agissait de bulles de savon curieuses et fragiles. Strange, quant à lui, se montrait de plus en plus, mesurant à chacune de leur rencontre si le chat avait des griffes. Vous a-t-on déjà dit qu'Helena Smith aimait les métaphores ? Mais comme toujours, oser, cela prenait du temps. Des semaines, et des semaines encore, puis arrivèrent les examens de fin d'année, et le dernier jour seulement, Tony osa. Cela ne se passa même pas dans la bibliothèque, mais juste dans l'entrée. Il y avait une logique derrière tout cela : c'était la fin, les livres n'étaient plus empruntables, impossible de se donner des excuses. Il suffisait pourtant d'une phrase, une seule question.

« Est-ce que tu voudrais sortir avec moi ? »

Stephen avait souri, c'était rare. Stephen l'avait embrassé, plus que rare : c'était la première fois.

.

Harley n'en revenait pas. Alors Strange (à côté de qui le Grinch était l'incarnation même du Christ) avait été le copain de trois jours de son père ?!

Impensable.

Effarant.

Insolite.

Et en plus il avait plaqué Tony !

C'était honteux !

Ahurissant !

Odieux !

Et ô dieu, il avait besoin de prendre l'air.

Voyant bien que son fils était en train d'intégrer les dernières informations, Tony le suivit en silence et avec un peu d'inquiétude jusque sur leur palier. Ils mirent à peine un pied dehors, qu'un aboiement les accueillit.

C'était Prokof, le chien qu'Harley avait vu ce matin en appelant les secours pour son maître. Gellert ? Non. Gorgonzola ? Non. Groot ? Non plus. Gallagher ? ... Finn Gallagher, mais oui ! Prokof aboya, comme s'il avait suivi le fil des pensées d'Harley (ce qui était impossible, n'est-ce pas ?) Prokof aboya une seconde fois, ses yeux n'arrêtant pas une seule fois de fixer les Stark. Mais c'est qu'il en était flippant ce chien...

« Tout doux, ne t'inquiète pas, ton maître va revenir, tenta Harley. »

Prokof s'arrêta un instant puis se mit à grogner. Harley fronça les sourcils, oui ce chien était définitivement étrange.

Puis, soudainement, la porte de chez Strange (donc la maison qui se situait entre chez Gallagher et les Stark) s'ouvrit, laissant passer deux personnes qu'Harley n'avait encore pas rencontrées. La première était un garçon, très grand, des cheveux roux s'arrêtant après sa nuque et lui tombant sur le front, habillé tout en noir ; et la deuxième était une femme a l'air relativement âgée, au moins dans la soixantaine, aux cheveux courts blancs bouclés et avec des lunettes rondes fantaisie. Tous les deux auraient pu sortir de la chocolaterie de Willy Wonka que ça n'aurait surpris aucun des deux Stark.

La femme les toisa un instant.

« Les nouveaux, finit-elle pas lancer, vous feriez mieux de commencer à faire vos valises. Ces dix dernières années, Gallagher est le seul voisin direct du docteur qui soit resté vivre ici plus de deux semaines.

Nouvel aboiement de Prokof.

-Et vous êtes ? Demanda Harley en haussant un sourcil.

-Personne, puisque vous m'aurez oublié après votre déménagement imminent.

-...D'accord, et toi là, t'as le droit de répondre aussi tu sais, insista Harley en pointant du menton le rouquin.

Ce dernier croisa les bras, son visage tout à fait neutre, puis répondit avec un soupir :

-Sam, ou Sammy si tu veux. Tu dois connaître mon petit-frère, Tom.

-Oh, s'exclama Harley (il s'en était douté mais n'avait pas voulu tirer de conclusion trop vite sous peine d'être accusé de roucisme), alors tu habites ici ! Du coup tu peux me dire qui c'est la vieille ?

-Harley voyons, le réprimanda Tony (le retour du daron mou, encore un peu et il évoluera en Darumarond le pokémon).

-Mme Smith, continua Sammy de sa voix monotone, c'est la proprio de la moitié du quartier et donc de la maison de Strange.

-Rappelle-moi de ne plus t'emmener avec moi en mission à l'avenir Sam, grommela la dénommée Mme Smith, bref peu importe. Ce qui compte c'est que si vous tenez à votre petite vie tranquille, tenez-vous éloignés du docteur.

L'effet dramatique de la menace fut brisé, contre toute attente, par un ultime aboiement de Prokof (à savoir : le Saint-Bernard le plus intelligent d'Angleterre).

-Mais bon sang, ce chien ne va pas se taire, râla Mme Smith.

-J'imagine, intervint alors Harley, qu'aucun des anciens voisins partis au bout de deux semaines n'avaient eu auparavant de relations amoureuses avec le docteur, comme vous dites ?

Les yeux de Tony triplèrent de volume. À quoi tu joues là Harley ?!! En face d'eux, Sammy, dont le visage était resté jusqu'ici impassible (attention) haussa un sourcil, tandis que Mme Smith avait abaissé ses lunettes rondes sur son nez, comme pour voir de ses propres yeux si le garçon devant elle était bien sain d'esprit. Puis le regard de la vieille femme se posa sur Anthony. L'inventeur eut la très désagréable impression qu'on le passait au scanner. Après un moment, Smith reprit, les yeux plissés en signe de méfiance :

-Vous connaissez le docteur ?

-Alors... C'est-à-dire que... C'est compliqué...

-Savez-vous ce qui lui est arrivé il y a vingt ans ?

-...Non ?

La confusion s'empara de Tony. D'après ce qu'il en savait, c'était à lui qu'il était arrivé quelque chose il y a vingt ans : une peine de cœur, un chagrin d'amour, appelez ça comme vous voulez, un PLAQUAGE nom d'un chien (d'ailleurs Prokof était maintenant étrangement silencieux). Les secondes s'étirèrent, puis Mme Smith balaya la conversation d'un geste de la main :

-Vous savez quoi, peu importe. Allons Sam, notre travail ici est terminé, tu peux rentrer chez toi. Et vous, là, faites bien ce que vous voulez, mais gardez à l'esprit ce que je viens de vous dire. »

Et avant que Prokof ne puisse aboyer de nouveau, Smith le foudroya du regard, et partit retrouver sa voiture pour quitter le quartier. À son tour, Sam passa devant les Stark en silence pour rejoindre sa propre maison, et s'arrêta juste avant d'ouvrir sa porte d'entrée. Ses yeux se posèrent un instant sur les deux Stark. Intéressants, ses nouveaux voisins...

.

« NOM D'UNE FRAMBOISE POURRIE SURGELEE !!

-Donna, tu devrais arrêter de dire ça.

-Tu préfèrerais un vrai gros mot Stephen ? Tu devrais essayer tu sais, dans le cerveau c'est comme si on était énervé et amusé en même temps, c'est thérapeutique.

-C'est juste stupide.

-Oui ben scuse-nous de ne pas être des surdoués pas drôles.

-Je suis drôle.

-Moui, bref... ALORS, t'as un copain ? »

Le Misanthrope [Ironstrange]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant