Chapitre 15 : Petites poteries d'argile rouge

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NdA : Retour de pause avec ce chapitre assez court, et dont le titre est tiré d'un poème de l'immense écrivain Christian Bobin dans son recueil La lumière du monde (je ne peux que vous conseiller de lire ce grand monsieur, de même qu'écouter la musique principale ayant aidé à l'écriture de ce chapitre). Bonne lecture, merci d'être toujours là ~♪

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Avant-dernière page.

Quelle drôle de chose que la mémoire. Tony avait beau être l'un des plus grands cerveaux de son temps, rien ne semblait pouvoir expliquer que son présent se soit soudainement retrouvé remplacé par des réminiscences constantes de son passé. Aucune seconde ne s'écoulait sans qu'il ne revoie la bibliothèque de son ancien lycée, et le visage de Stephen, entre les livres...

Car plus drôle encore que la mémoire, il y avait le cœur. Cette petite poterie d'argile rouge sous sa poitrine qui n'en faisait qu'à sa tête. Et c'était que Tony était sacrément têtu. Quelle idée vraiment, après autant de temps, de rester bloqué sur un amour de jeunesse...

Dernière page.

Drôle de chose que la mémoire, et terrible chose que sa perte. L'idée tournait en boucle dans son esprit depuis sa dernière rencontre avec le neurochirurgien. Alors d'une idée en était née une autre. Les livres ne donneraient peut-être pas la réponse. Du moins pas les livres pleins, déjà chargés d'histoires, de drames, d'amour, de comédies, toutes ces choses qui ne leur appartenaient pas. Alors il leur fallait un autre livre. Un livre vide.

Et puisque ses enfants avaient eu la merveilleuse idée d'organiser une fête des voisins, ou la « FFE » comme Harley aimait maintenant à l'appeler (Tony priait secrètement toutes les entités mystiques jamais inventées pour que la fête ne se transforme pas justement en « FEU »), il avait décidé d'offrir le livre à Stephen à ce moment-là.

Pouvait-il être moins romantique ? La poterie d'argile rouge avait voté non, et franchement, qui était Tony pour lui refuser ça ?

Si peu de choses vraiment...

Si peu de choses...

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« On pourrait faire un horoscope du cœur ! »

Ah. C'est que Finn Gallagher n'était pas le maître du Saint-Bernard le plus intelligent d'Angleterre par hasard : il était, de loin, celui qui proposait les idées les plus bizarres. Dès que sa main s'était posée sur le petit carton d'invitation pour la Fête de fin d'été, il avait quasiment bondi de joie et s'était immédiatement rendu chez Emma Bagman (à noter que l'utilisation du verbe « bondir » était évidemment inadaptée à l'état convalescent de Gallagher, mais bon, je m'en fiche, oui oui, je suis comme ça). C'était que le professeur d'histoire venait de trouver en les personnes d'Harley, Sam et Peter des alliés de premier plan dans sa mission CUPIDON (oui il s'est pas foulé, moi non plus). Alors voilà qu'il se retrouvait avec les Trois Mousquetaires à planifier la préparation de la 13e FFE (Fête de fin d'été, je précise quand même parce qu'à peu de choses près on peut se méprendre et lire Fédération Française d'Equitation) (vraiment rien à voir).

« Va pour l'horoscope, déclara Harley, il va aussi falloir qu'on trouve plein de petites lumières. Oh et des mini feux d'artifice !

-Ça ce serait dingue, appuya Sam.

-Ok les frères Weasley, ria Finn, vous voulez cramer le quartier ou quoi ?

-C'est du roucisme ?

-Mais non c'est pas du roucisme. Bref, et avec l'horoscope, j'ai une collègue de français qui pourrait se déguiser en fausse voyante (elle a déjà des délires ésotériques un peu étranges pour dire le moins).

-C'est bizarre, jugea Harley, mais c'est drôle. Pourquoi pas.

-Je savais qu'on allait bien s'entendre.

Puis la mère de Sam vint interrompre leur conversation :

-Vous ne sauriez pas où sont passés Tom et le petite Morgane ? Je ne les vois plus dans le parc.

-Ils ont dû rentrer à la maison, proposa Peter, Mo' voulait lui montrer sa collection de peluches je crois.

-Ah très bien, très bien. Dites-moi si je peux vous aider dans votre organisation surtout.

-Oui merci m'man. »

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Peter n'avait pas tort. Mais il n'avait pas non plus tout à fait raison : les peluches de Morgane étaient en effet impliquées dans l'affaire, seulement, la cadette Stark ne planifiait pas uniquement d'exhiber son impressionnante collection à Tom. Parce que finalement, Tony n'était pas le seul à penser à Stephen Strange. Il y avait bien sûr aussi Harley, Peter et Sam (car le but de leur fête était, rappelons-le, de mener le neurochirurgien sur le long et glorieux chemin de la rédemption), sans même parler de Gallagher, dont l'ambition était carrément messianique.

Non, Morgane aussi pensait au docteur. Elle se souvenait avec une précision remarquable de ses yeux tristes, et face à des yeux tristes comme ceux-là, il fallait faire quelque chose.

Le tout se déroula sans qu'un mot ne fusse prononcé. C'était que parfois les mots s'avéraient bien inutiles : trop précis, ou pas assez, trop sérieux, trop habillés... Une peluche sous le bras et Tom sur les talons, Morgane s'arrêta d'abord devant chez M. Gallagher. Elle poussa le portail et libéra Prokof, qui bien sûr avait déjà tout compris. Enfin, les trois compères toquèrent à la porte du Dr. Strange.

Quelques secondes.

La porte qui s'ouvre.

Trois énergumènes d'un mètre de haut qui se jettent sur le docteur.

Contre toute attente, cela n'a rien d'une attaque ; c'est un câlin.

Que dire ?

Que faire ?

Morgane, qui lui tend une drôle de boule rose en blouse de médecin.

C'est qu'il est encore assez jeune pour avoir un minimum de culture Pokémon : cette bête-là est un Rondoudou en costume de docteur.

Il s'en saisit, quoi d'autre ?

Morgane a le sourire le plus lumineux du monde.

Tom a cet amusant visage des personnages de dessins animés.

Prokof rayonne d'une intelligence douce.

Stephen n'est qu'un homme triste et bête.

C'est pourquoi ses bras se referment sur eux.

Une minute.

Puis Tom qui se met à rire. C'est un rire d'enfant, hautement contagieux. Morgane qui rit aussi. Prokof qui s'agite autour d'eux. Et Stephen qui sourit.

Toujours pas un mot.

Avant de partir seulement :

« Vous viendrez à la fête de mon frère ? »

Tom et Morgane qui le fixent de leurs grands yeux d'enfant.

Soupir.

« Je vais y réfléchir. »

Départ satisfait : il n'a pas dit non, et il leur a souri.

Il sera là, à la Fête de fin d'été.

Le Misanthrope [Ironstrange]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant