𝐅𝐎𝐑𝐆𝐎𝐓𝐓𝐄𝐍 𝐒𝐀𝐈𝐍𝐓𝐒 ─── 𝐴𝑠𝑡𝑎𝑟𝑖𝑜𝑛

Chapitre 6

╭─────╮

Ashe s'enfonça dans l'eau sans y penser deux fois. Sa peau se glaça au point de faire se hérisser sa chair, mais la froideur apaisa ses muscles ankylosés et tendus. Des effluves rougeâtres l'entourèrent avant de se dissiper dans l'immensité du bassin, sa peau se débarrassant avec joie de toutes les saletés qui la recouvraient. N'ayant ni savon ni tissu, elle frotta vigoureusement son corps sous l'eau tout en évitant de trop toucher les cicatrices fraîches. Une fois propre, elle s'assit sur un rebord naturel du bassin creusé à même la roche, ce dernier avait probablement servi au déroulement de rituels religieux en tout genre. Il devait être toujours béni par un dieu, l'eau restant claire et saine malgré l'abandon du lieu.

Ses souvenirs sur l'identité d'Astarion la troublaient. Elle n'avait pas imaginé une seule seconde qu'il soit décédé à un âge aussi précoce ; elle lui aurait donné les deux siècles qu'il avait, pas trente-neuf ans. Même si parfois, à la faible lueur du feu le soir, les rides du vampire se discernaient clairement ; autour de ses lèvres, comme s'il avait inlassablement répété le même sourire jusqu'à l'y imprimer, et entre ses sourcils comme s'il les avait trop froncés. Astarion n'était pas jeune, et il n'en avait pas l'air ; mais il ne semblait pas vieux pour autant.

Figé dans le temps mais usé par ce dernier, c'était ainsi qu'Ashe le percevait.

Maintenant qu'elle avait la sensation de le connaître depuis bien plus longtemps que la nuit où elle l'avait capturé, le défilement du temps lui fut bien moins abstrait. Depuis cette soirée d'été, où elle avait assisté aux prémices de sa vie de vampire, et celle, deux cent ans plus tard, où elle l'en avait arraché, il s'était passé mille choses, elle avait vécu mille vies, vu mille choses. Astarion, lui, n'en avait vécu qu'une seule, n'avait fait que répéter en boucle la même nuit avec différentes personnes, n'avait vu que les mêmes murs gris d'un palais aux allures de cage.

Ashe ne savait trop quoi faire, devait-elle donner au rejeton toutes les informations en sa possession ? Devait-elle lui dire à quel point sa mère l'avait pleuré ? La destruction que le manque de réponses avait déclenché dans son foyer ? Pendant combien d'années encore après l'abandon de l'enquête son père lui avait envoyé des lettres pour savoir si elle était sur une nouvelle piste ?

Serait-il injuste de lui raconter tout cela alors qu'il ne pouvait changer le passé ou serait-il injuste de lui cacher la vérité ?

Plus tard. Elle allait en discuter avec Cyron, elle allait choisir le moment opportun et adéquat. Mais pas maintenant. Pas après les récents événements.

En pensant au loup... Ashe reconnut le pas souple et léger, typique des prédateurs de la nuit, s'avancer dans son dos. Elle n'avait pu l'entendre que parce qu'il voulait être entendu, elle le savait bien.

— Ne vous approchez pas trop, l'eau de ce bassin est bénite, l'avertit-elle.

Les bottes d'Astarion cessèrent de marteler le sol un instant avant de reprendre leur chemin. En silence et sans poser les yeux une seule fois sur Ashe, il vint s'asseoir à côté d'elle, du côté sec du bassin, et se pencha en arrière, effleurant l'eau du bout des doigts. La réaction fut presque instantanée, il retira vivement sa main dans un bruit de grésillement comme s'il venait de la plonger dans de l'huile bouillante.

— Je n'avais jamais été en contact avec de l'eau bénite, expliqua-t-il. C'est bien pire que la douleur d'être dehors en plein jour. Je me demande pourquoi les dieux nous détestent tant.