Chapitre 1

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196 ans plus tard, année 1464.

— Ces cicatrices... Qui les as faites ?

Astarion sursauta, et au son de la voix derrière-lui et au contact de la main chaude qui traversa son dos. Il fit passer sa réaction pour un mouvement naturel et s'appuya sur ses genoux pour se relever du lit sur lequel il était assis. Il détestait cordialement les tavernes de la cité basse, il avait toujours trouvé leur literie trop désagrégée et sale. Mais sa chasse le menait parfois dans les pires taudis et il ne s'en souciait plus vraiment. Après tout, cette chambre miteuse avait des aspects de paradis en comparaison à celle luxueuse du palais, où peine et humiliation régnaient les soirs où il y était convoqué.

Il se dirigea vers la fenêtre, admirant les gens ivres tituber sous les rares lanternes encore allumées. Personne ne pouvait le voir dans l'obscurité de cette vitre crasseuse, mais lui voyait tout. Astarion réprima les souvenirs, les peu qu'il avait, en tout cas.

Le jour où Cazador l'avait gratifié de ces ornements corporels, il avait échoué à lui ramener une proie ; une jeune femme, plus maline qu'elle en avait l'air, plus maline que l'homme étalé dans les draps de cette piaule, en tout cas. Toujours est-il que, lorsqu'il était rentré les mains vides en pensant naïvement qu'il serait pardonné, lui qui ne manquait jamais à ses missions, il avait face à un Cazador pour le moins... contrarié.

Il n'avait plus jamais répété cette erreur. Enfin, presque plus.

Les mutilations dans son dos avaient été le plus douloureux des vices qu'il avait subis. La nuit ne s'était résumée qu'à douleur aveuglante, sang tachant de pourpre les draps blancs et rires sadiques. Elle avait duré une éternité, plus que cela même.

— C'est un poème, lui répondit finalement Astarion d'une voix doucereuse.

— Un poème ? rit son amant. Quel genre de secte littéraire grave les poèmes dans la chair ?

Il ne répliqua cette fois rien. Le vampire prit le temps de remettre son masque en place avant de se tourner vers sa victime.

— J'aimerais vous emmener quelque part, proposa-t-il, si vous me le permettez, ça sera plus plaisant que cette chambre.

— Maintenant ?

— Et pourquoi pas ? La nuit est loin d'être terminée.

Le sourire confiant et intime d'Astarion finit de le convaincre, ils se rhabillèrent en silence. L'elfe profita de son avance pour reluquer une dernière fois l'homme qu'il avait piteusement séduit ce soir en une poignée de minutes. Il était un humain simple, dans la trentaine peut-être, Astarion n'avait pas demandé. D'une carrure plus chétive que la sienne, il avait eu peur de lui briser la colonne vertébrale à plusieurs reprises pendant leurs ébats mais il était bien plus solide qu'il n'y paraissait. Il avait dit travailler au cimetière, il était le fossoyeur de son quartier. Un métier bien triste, qu'il aurait préféré éviter mais il allait là où on avait besoin de lui. Ses mains, aussi râpeuses que celles d'Astarion étaient douces, et sa peau basanée ne faisaient que confirmer son dur labeur. Quoi de mieux que quelqu'un qui déteste sa vie pour se jeter dans les bras du premier venu ? Il avait été plus que stupide de croire un inconnu dont il ne connaissait rien, et Astarion serait celui qui lui enseignerait la leçon.

Les pincements au cœur qu'il ressentait lorsqu'ils piégeaient ses premières victimes étaient bien loin.

Il le guida dans le dédale des rues, droit sur une mort douloureuse dont il ne soupçonnait rien. Il parlait tant. Astarion répondait d'un ton faussement intéressé, de sourires bienveillants ; le garçon ne voulait pas d'un objet sexuel tels que certains, il avait besoin de quelqu'un. Et le vampire était qui les autres voulaient qu'il soit. Un prostitué ? Bien sûr. Un amant aimant ? Sans problème. Un confident ? Parfait. La manipulation affective était devenue seconde peau ; sa beauté, l'habit qu'il revêtait par-dessus.

𝐅𝐎𝐑𝐆𝐎𝐓𝐓𝐄𝐍 𝐒𝐀𝐈𝐍𝐓𝐒 ─── 𝐴𝑠𝑡𝑎𝑟𝑖𝑜𝑛Où les histoires vivent. Découvrez maintenant