Chapitre 1: Tu ne tueras point

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Sonia se disait que ce commandement de Dieu était impossible à respecter dans les transports en communs franciliens en heure de pointe.

Elle essayait de s'agripper tant bien que mal à la barre verticale du wagon du RER B bondé de touristes, d'étudiants et de travailleurs fatigués.

Elle se demandait si cette promiscuité était légale. Le RER B en heure de pointe c'est le rêve de l'exhibitionniste, et encore s'il parvenait à s'exhiber dans cet espace restreint, le paradis du pervers sexuel adepte du frotti-frotta et du bassin baladeur qui prend son indépendance.

Et puis ces odeurs ! Nom d'une pipe en bois ! L'odeur de transpiration, mélangée aux vapeurs des mauvaises haleines, associée aux effluves des épices indiennes qui imprègnent bien les vêtements vous plongent dans un supplice digne d'un Satan ignoble ou d'un dieu grec en mal de vengeance : le supplice du hamam de la déchetterie.

Cette humidité et ses odeurs tenaces lui donnaient des hauts-le-coeur et elle regretta d'avoir privilégié les lasagnes aux brocolis/cabillaud à la cantine.

Il lui restait encore six stations avant de pouvoir s'extraire de cette masse informe et puante. Elle se mettait en apnée de temps en temps pour faire en sorte de respirer son propre gaz carbonique qui était quand même moins toxique que l'oxygène ambiant, détruit par ces relents pestilentiels.

Soudain, son regard fut attiré par une dame assez âgée qui ressemblait à Line Renaud.

Sonia aimait regarder les gens et s'amusait à imaginer leur vie.

Le sosie de Line Renaud devait être une aristocrate déchue car malgré l'élégance de sa tenue et son port de tête, on voyait bien que ses vêtements n'étaient pas de première main et que les bijoux qu'elle portait étaient du toc.

Elle dodelinait un peu de la tête et sa main droite tremblait légèrement. Sonia se souvint alors d'une vielle dame qu'elle avait connue lorsqu'elle était petite... comment s'appelait-elle déjà ? Argh! Elle avait de plus en plus de mal à se souvenir des noms. Alzheimer ? De toute façon, la mémoire de Sonia n'avait jamais bien fonctionné : elle n'avait en stock que 5/6 souvenirs de son enfance et elle n'était même pas sûre qu'ils soient réels. Peut-être les avait-elle fabriqués à partir de souvenirs que d'autres personnes lui avaient raconté.

Bref, Dame Line lui rappelait cette vielle dame qui était atteinte de la maladie de Parkinson et qui dodelinait aussi de la tête.

Soudain, Line Renaud releva la tête et rencontra le regard de Sonia qui le détourna aussitôt, honteuse d'être prise en flagrant délit de zieutage.

L'observation de cette passagère avait un peu détourné son attention du marasme ambiant et lorsqu'elle reprit pied dans la réalité, son nez se trouvait exactement sous l'aisselle d'un grand bonhomme baraqué. Son cerveau, contre toute attente, activa son sens de l'odorat au maximum de sa capacité. Vous avez remarqué cette bizarrerie de notre cerveau qui nous pousse à faire des choses qu'on ne veut surtout pas faire ? Regarder un film d'horreur alors qu'on a peur des films d'horreur ou encore sentir des chaussettes avant de les mettre dans la machine à laver? Ou regarder le papier toilette avant de le jeter dans les toilettes ? Ou encore sentir les aisselles d'un inconnu !

Alors, comment dire, soit ce monsieur ne se lavait pas, soit ces glandes sudoripares étaient fortement défaillantes. Sonia quitta son corps un court instant tant l'odeur était pétrifiante. Pourtant, elle en avait respiré des chaussettes malodorantes, mais là, c'était le paroxysme de la mauvaise odeur.

Elle essaya de s'éloigner autant qu'elle put mais malgré tous ses efforts ses cellules nasales étaient imprégnées et c'est comme quand on vous met une chanson dans la tête !

Plus que deux stations !

Des racines et des EllesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant