Chapitre 21 : Mes enfants

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Noël était passé. Les sombres mois de Janvier et de février aussi. C'était la fin Mars mais on ne sentait pas encore les frémissements du printemps.

La petite souris préférait l'hiver. Elle ne supportait pas la chaleur.

Ses enfants lui manquaient. Elle ne les avaient pas revus depuis le 25 décembre.

Elle fut tellement heureuse de les accueillir ce jour-là ! Tout pour ses enfants. Sa vie à elle ne comptait pas mais elle voulait que ses enfants réussissent. La « Cuillère », son aînée était psychologue. Elle l'avait surnommée ainsi car, à sa naissance, sa tête était beaucoup plus grosse que son corps. Elle pesait deux kilos et sa tête en représentait la moitié. Dans le passé, elle n'était pas très proche de sa fille mais plus, elle vieillissait, plus elle se rapprochait d'elle. La « Cuillère » lui en avait beaucoup voulu, inconsciemment, car elle savait et elle sentait qu'elle n'était pas une enfant désirée. De plus, Mme Brahimi n'était pas démonstrative ; elle n'avait jamais su dire à ses enfants qu'elle les aimait. Elle était très discrète, pudique et solitaire. Cela aurait pu avoir des conséquences désastreuses sur ses enfants mais heureusement, ses filles ne reproduisaient pas ce schéma maternel avec leurs propres enfants.

Sa cadette, sa préférée, était professeur d'anglais et vivait à Dubai. Elle venait deux fois par an et logeait soit chez sa soeur, soit chez sa mère.

Elle était enjouée et spontanée. Elle poussait sa mère dans ses retranchements et n'hésitait pas à la mettre devant ses contradictions et ses angoisses infondées.

Quant à l'héritier du trône, c'était une déception totale. Il vivotait de petits boulots, avait trois enfants de trois mères différentes dont une à l'étranger, et réclamait régulièrement de l'argent à ses parents. Argent qu'ils n'avaient pas. Pour lui, ses géniteurs l'avaient mis au monde, alors ils devaient l'assumer jusqu'à la fin de leurs jours. Il vivait à droite et à gauche, parfois chez l'une de ses ex, parfois chez un copain et parfois chez ses parents. Mme Brahimi ne pouvait plus le supporter. Ils se disputaient régulièrement et cela finissait en général par une prise plus importante d'anxiolytique pour elle et de plus de cannabis pour lui. Telle mère, tel fils.

Elle se demandait souvent où et à quel moment elle l'avait perdu. C'était un petit garçon adorable, intelligent et talentueux. Il avait appris à jouer du piano et du violon tout seul, il écrivait des poèmes et il avait beaucoup d'amis. Mais en troisième, il avait complètement décroché et avait commencé à faire des conneries. Elle était allée le chercher au commissariat à plusieurs reprises, avait payé ses dettes de drogue sous la menace et accepté qu'il la traite comme une moins que rien. Il ne se gênait pas pour lui dire qu'elle était une mauvaise mère et que si sa vie à lui était pourrie, c'était de sa faute à elle.

La vie de la petite souris n'avait pas été rose du tout. Elle ne se souvenait pas vraiment d'avoir vécu de moment heureux ou peut-être si, la naissance de ses petits enfants. Ces derniers lui avait redonné - un peu- l'envie de vivre. Car, oui, aussi croyante qu'elle était, elle avait souvent pensé au suicide.

Ses regrets et ses remords avaient créé des noeuds dans son corps, elle le sentait. Des noeuds qui grossissaient ou rapetissaient au gré de ses traitements anti-dépressifs. Des boules vives, incandescentes qui l'empêchaient de respirer.

Mais, pourtant, elle était reconnaissante. Elle ne laissait jamais rien paraitre et son sourire illuminait la pièce quand elle y entrait. Ce petit bout de femme courageuse, chaleureuse, aimante, serviable ressentait les émotions des autres comme si c'était les siennes et elle savait réconforter et aider sans s'imposer. Elle était d'excellent conseil et sa mission de vie était d'aider les autres, au risque de s'oublier...

Mme Brahimi avait essayé de changer, de se mettre au centre de sa vie, d'être égoïste et de penser à elle d'abord mais cela avait été trop compliquée. Ce n'était pas sa zone de confort. C'était trop difficile de changer de paradigme.

La petite souris regarda autour d'elle. Son manteau était posé sur le canapé marron et son sac trainait au sol. Elle avait ouvert les fenêtres pour aérer un peu et n'avait pas le courage de se mettre au ménage.

Alors, elle prit son téléphone et se prépara à prévenir ses enfants que le Vieux était entre la vie et la mort. 

Des racines et des EllesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant