Chapitre 12 : La charge mentale

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Elle était tellement contente ! Ses enfants et petits-enfants allaient venir fêter Noël chez elle !

Ils ne fêtaient pas vraiment Noël car c'était une fête religieuse chrétienne mais ils aimaient se retrouver pour l'occasion, manger un bon repas et passer un petit moment en famille.

Cependant, malgré la joie qu'elle ressentait, l'angoisse commençait à monter en pensant à l'organisation de ce repas. Qu'est-ce qu'elle allait préparer à manger ? Il fallait aussi penser à nettoyer l'appartement de fond en comble et à acheter des petits cadeaux. Mais elle n'avait pas vraiment les moyens. Elle avait travaillé dur toute sa vie mais sans être déclarée donc elle touchait une petite retraite qu'il lui suffisait à peine pour se nourrir. Elle allait taxer le Vieux ! Après tout, c'était ses enfants aussi.

En vieillissant, des oursins s'étaient installés dans ses poches. Il était devenu radin. Ou alors il l'avait toujours été. C'est juste qu'elle avait toujours eu son propre salaire et qu'elle n'avait jamais eu besoin de son argent à lui. Au contraire, elle l'avait souvent aidé au moment où il construisait la maison au Maroc. Maison qui n'avait été enregistrée qu'à son nom à lui d'ailleurs ...

Elle avait cette fierté, peut-être mal placée, de ne rien demander. De ne compter que sur elle-même. Elle voulait être indépendante et ne rien devoir à personne.

Quand elle était arrivée en France, le Vieux (qui n'était pas si vieux à l'époque) avait décrété qu'elle ne travaillerait pas. Il l'avait faite venir pour être femme au foyer, s'occuper des repas, du ménage et des enfants. En parlant d'enfant, il en voulait un de plus, histoire que le nom de famille ne se perde pas. Il lui fallait un garçon. Le Vieux avait alors 46 ans et la petite souris en avait 24.

Elle ne voulait pas d'enfant mais elle était à la merci de son mari. Ils vivaient dans un douze mètres carrés, une toute petite pièce où ils cuisinaient, dormaient et se lavaient. Les toilettes étaient dans la cour extérieure.

Donc, un an après, elle accouchait d'un petit garçon. Elle avait rempli sa mission et donné un héritier au trône.

Quelques temps après, son mari accepta qu'elle fasse quelques heures de ménage chez des particuliers. Elle était très appréciée de ses employeurs et certains se prirent d'une réelle affection pour cette jeune femme courageuse et ses adorables enfants.

Ses petites filles s'adaptèrent assez facilement même si les débuts furent extrêmement difficiles. Elles ne parlaient pas le français, elles ne connaissaient pas vraiment leur père et elles avaient perdu tous leurs repères. Les premiers jours, elles passaient leurs journées, assises sur le lit, à pleurer.

Mais elles avaient une telle résilience, un telle volonté d'apprendre ! Et lorsque leur petit frère naquit, elles furent d'une aide précieuse. Elles s'occupaient de lui pendant que leur maman allait travailler. Elles avaient respectivement six et sept ans.

Elle était si fière de ses filles ! Même si rétrospectivement, elle se rendait compte qu'elle n'avait pas vraiment été là pour elles. Elle n'assistait jamais aux spectacles de fin d'année, ni aux représentations théâtrales dans lesquelles ses filles jouaient. Elle était très pudique et avait du mal à être en public. Elle voulait passer inaperçue, faire profil bas comme si sa seule présence dérangeait.

Elle avait toujours envie d'être seule. Elle était toujours très fatiguée et ses problèmes de santé n'arrangeaient rien. Elle cumulait plusieurs boulots en plus de son rôle de maman et d'épouse.

Aujourd'hui, ses enfants étaient grands, son mari était vieux et elle ne servait plus à rien. Tant qu'elle se sentait utile, elle alla aussi bien que possible. Mais à partir du moment où elle réalisa que ses enfants avaient pris leur envol, alors elle tomba dans les dépressions. 

Des racines et des EllesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant