Chapitre 8: lettre de ma Peur

13 3 0
                                    

Ma très chère Sonia, je suis ta Peur.

Je prends enfin ma plume pour t'écrire. Je souhaitais le faire depuis longtemps mais j'avais peur-haha la peur qui a peur- de te livrer mes pensées et que tu ne ne t'éloignes de moi. Oui vois-tu moi aussi j'ai besoin d'exister !

J'ai toujours été là pour toi, tu en conviendras n'est-ce pas ?

Je rôdais dans le monde des humains à la recherche de quelque chose de différent à faire. Parce qu'avoir peur en temps de guerre, de famine ou encore avoir peur de rôtir en enfer, c'était désuet. Les gens s'étaient habitués et je commençais vraiment à m'ennuyer. Toujours le même schéma, la même routine et, nous les émotions, on a besoin de nouveauté, de frisson, d'inconnu.

Alors je t'ai vue toute mignonne, accrochée à ta mère à l'aéroport.

J'ai rapidement su que tu allais être parfaite pour moi !

C'était la première fois que tu prenais l'avion mais comme je ne te connaissais pas encore, tu n'as ressenti aucune frayeur ni au décollage, ni pendant le vol, ni à l'atterrissage. Je me suis bien rattrapée par la suite hein ? Oh que tu étais à croquer quand tu devais prendre l'un de ces gros oiseaux ! Mais on en reparlera promis.

Bref, je t'ai entourée de mes bras de velours, de mes effluves frémissants et, de ma voix susurrante, j'ai commencé à m'insuffler en toi comme le Saint Esprit mais en version gore.

Pauvre petit trésor, déraciné, propulsé dans un pays inconnu, à la rencontre d'un père inconnu, d'une vie que tu n'arrivais même pas à imaginer. On t'avait promis monts et merveilles mais la rupture avec ton monde d'avant était dure. Et ce père, est-ce qu'il était autoritaire ? Et ta nouvelle maison ? Et ton école ? Et comment allais-tu faire pour communiquer alors que tu ne parlais pas un mot de français ?

Tu vois c'est à ce moment-là que je commençais mon travail de sabotage, doucement, avec allégresse car tu étais malléable à souhait !

Et plus tu grandissais, plus tu faisais mon bonheur. Tu avais peur de tout : du noir, des monstres, de déplaire, de ne pas être aimée, d'être une mauvaise musulmane, de tout rater. Je me délectais de te voir aussi réceptive. Tu étais en mon pouvoir et grâce à toi, j'ai perfectionné mes techniques, innové même ! Tu étais une source d'inspiration inépuisable.

Mais l'apogée de notre collaboration a eu lieu pendant ta grossesse ! Tu ne me contrediras pas, n'est ce pas ? Tu es allée au-delà de mes espérance et tu fus à ce moment là ma plus belle oeuvre ! Tu n'étais qu'angoisse et panique. Tu suintais la peur par tous les pores de ta peau. Grâce à moi, tu as eu une grossesse exécrable. La peur de perdre le bébé étant le summum de mes exploits !

Les hormones du deuxième trimestre ont un peu détérioré nos relations car tu voyais la vie en rose, rose pâle certes mais rose quand même. Cependant, je n'étais jamais très loin et je me suis bien rattrapée ensuite.

L'accouchement te faisait faire des cauchemars et je te voyais te débattre, avide de toutes les expériences rassurantes qu'on voulait bien partager avec toi. Te rends tu compte que sous mes injonctions, tu étais prête à subir une césarienne tellement tu appréhendais l'accouchement par voie basse ? Et encore appréhender est un bien faible mot par rapport à la terreur dans laquelle tu étais.

Là où tu m'as vraiment surprise, c'est lors de la délivrance. Je n'avais plus prise sur toi. Tu étais tellement concentrée sur la douleur et sur le bébé que tu ne m'écoutais plus. J'avais beau m'égosiller pour te rappeler que le bébé avait un problème au coeur, qu'ils allaient te le prendre, que l'issue était incertaine, tu semblais ne pas m'entendre toute à ta souffrance.

Et puis, quand on te posa le petit bout de chou sur toi, qu'on te le reprit aussitôt et que tu ne l'entendis pas pleurer, alors on a renoué le contact. Mon honneur était sauf !

Et depuis, j'ai régné en reine sur ta vie. Ta perception de moi avait changé cependant. Tu n'avais plus peur pour toi mais pour le bébé.

Je n'ai jamais compris cette tendance des humains à avoir peur pour quelqu'un. Pourquoi faites-vous des enfants dans ce cas-là , vous savez très bien ce qui les attend loin de votre utérus rassurant, nourrissant.

Alors vous commencez à avoir peur de les perdre, peur qu'ils tombent malade, peur qu'on les harcèle, qu'on les maltraite, qu'on les viole, qu'on les insulte, peur qu'ils ne réussissent pas dans la vie, qu'ils se droguent, qu'ils ne vous aiment pas, peur d'être de mauvais parents, de ne pas pouvoir leur offrir ce qu'ils veulent, peur qu'ils ne soient pas eux-mêmes mais en même temps peur qu'ils ne correspondent pas à ce que la société leur impose, peur qu'ils ne soient pas intelligents, qu'ils n'aient pas de passion, qu'ils soient non croyants ou au contraire extrémistes.

Je peux continuer encore longtemps sur cette peur mais je conclurai sur ce sujet en disant qu'en devenant parents, vous commencez à avoir peur d'avoir peur.

Mes pauvres petits humains ! Mes rejetons et moi sommes à tous les coins de rue : Tristesse, Déception, Colère, Trahison, Frustration, Angoisse, Panique. La faute à qui ? A Pandore probablement.

Laissez-moi rire ! Il a bien fallu trouver une explication à vos actes déplorables.

En tout cas, mon Grand Rival est bien loin d'avoir gagné la partie et encore moins la guerre. Votre monde m'a donné les pleins pouvoirs, et l'Amour est en passe de devenir une valeur de seconde main.

Vous n'êtes même pas capable de l'éprouver pour vous-même !

To be continued ...

Des racines et des EllesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant