Chapitre 6 : Asociale

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12h05. Elle avait cinq minutes de retard sur son programme. Elle déjeunait toujours à 12h, toute seule dans la salle de pause. Au début, ses deux collègues lui avaient proposé de déjeuner avec elles mais devant son manque d'enthousiasme, elles ne lui avaient plus jamais demandé. Elle préférait être seule. Elle n'aimait pas les gens ; elle ne leur faisait pas confiance. Ils s'étaient toujours moqués d'elle.

D'ailleurs, elle savait que, dans son dos, on la surnommait Monk ou encore l'Autiste de service mais cela ne l'atteignait pas.

Elle savait que la plupart des personnes qu'elle connaissait et qui se comptaient sur les doigts d'une main l'évitaient le plus possible.

De toute façon, depuis la mort de sa mère, elle ne voyait plus personne en dehors de ses heures de travail. Pendant le week end, elle faisait le ménage, la paperasse, et parfois pour le fun, elle regardait la télévision. Elle choisissait soigneusement son programme et en général, son coeur balançait entre Columbo et Enquêtes Criminelles. Et le dimanche, elle allait à la messe. Pas par conviction religieuse mais comme une tâche à accomplir dans son programme bien huilé. Elle s'asseyait toujours au fond et ne parlait avec personne. Elle était la première à sortir quand l'office était terminé. Puis, elle rentrait chez elle.

16h30. L'heure de partir. Elle avait fini son travail mais regrettait de ne pas pouvoir faire la fermeture afin d'être sûre que tout soit correctement nettoyé, voire aseptisé. Quand elle arrivait le matin pour l'ouverture et que le nettoyage avait été fait par une de ses collègue et même si la femme de ménage passait le soir ou très tôt le matin, elle n'était pas satisfaite. Elle prenait vraiment sur elle pour ne pas prendre la serpillère et repasser un coup, ou encore pour ranger les différents éléments du bureau dans un ordre parfaitement symétrique.

19h45. Elle venait de finir de ranger les courses qui lui avaient été livrées. Elle utilisait l'ordinateur du cabinet pour commander en ligne et se faisait livrer afin d'éviter la foule. Elle n'ouvrait jamais la porte au livreur. Elle laissait un mot sur sa porte pour lui indiquer de déposer les courses sur le paillasson, accompagné de cinquante centimes de pourboire. La plupart du temps, les cinquante centimes restaient accrochés à la porte.

Maintenant, elle devait absolument descendre la poubelle. Bien évidemment, cela ne pouvait pas attendre le lendemain matin. C'était prévu dans le programme d'aujourd'hui. Alors, elle sortit de chez elle et croisa sa voisine du dessus. Elle ne répondit pas à son bonsoir. Elle n'aimait pas cette femme. Elle n'aimait pas les Arabes en général et celle-là encore moins. Elle n'aimait pas son fils, un grand dadais boutonneux, une graine de voyou. Comme tous les autres. Avec ce genre de personnes, on comprenait mieux pourquoi la France allait si mal. Sa mère avait la chance d'être morte mais elle devait quand même se retourner dans sa tombe. Toutes ces émeutes, ces manifestations, ces pillages et toujours perpétrés par les mêmes. Les enfants de l'immigration : les arabes et les noirs. A bouffer les allocations familiales et à critiquer la France. Rentrez chez vous si vous n'êtes pas contents.

Elle n'était pas en colère car elle était incapable de ressentir la moindre émotion mais elle constatait. Ce n'était rien de plus qu'un constat, alimenté par tout ce qu'elle avait pu entendre.

Elle remonta rapidement, se lava les mains trois fois et pensa à sa mère. Elle était contente que sa mère soit morte. 

Des racines et des EllesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant