Chapitre 53: La descente

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– Hey Gayle, ça te dirait d'aller boire un café avec moi à la fin de ta pause ? Je souffle avec discrétion. Quand j'ai trouvé un boulot pour passer le temps, j'étais vraiment heureuse. Mais ce que je n'avais pas prévu et dont je me serais bien passée, c'est de mon nouveau collègue. Oleg, de ma vie, je n'ai jamais côtoyé une personne aussi bavarde. Il parle constamment, et le pire, c'est qu'il ne dit rien d'intéressant. Je passe mon temps à hocher la tête en souriant alors que je veux qu'une seule chose : qu'il me fiche la paix.

– Je suis désolé, Oleg, c'est impossible.

– Pourquoi ? Il est tellement indigné que je me demande s'il n'a pas un droit sur moi que j'ignore. Sérieusement ? Je dois justifier mon refus en plus de ça. – Mon mari ne va pas apprécier. Je mens en le regardant dans les yeux. Il éclate de rire. Il y a quelque chose de fascinant avec Oleg : il parle toujours en regardant ma poitrine. Si je me fais tuer dans la rue et que la police l'appelle pour une identification, il sera incapable de reconnaître les traits de mon visage, j'en suis persuadée, mais mes seins ? Il peut en faire une dizaine de portraits-robot.

– Moi aussi, je suis mariée. Mais j'ai le droit d'avoir des amis. Il se passe la langue sur sa lèvre inférieure, les yeux toujours braqués sur une certaine partie de mon anatomie. Mon Dieu, qu'il est lourd.

– Je ne veux pas sortir avec toi.

– Écoute, Gaye, tu n'as aucune expérience pour ce travail, mais je t'ai engagée parce que je décerne un grand potentiel en toi...

– Oleg, des jeunes ont besoin de renseignements dans le rayon mangas. Oleg marmonne dans sa barbe avant de s'éloigner. Je lance un regard reconnaissant à Jian, mon autre collègue.

– Tu es mon héros. Mes seins en avaient marre de parler avec lui ! Il pose un café sur le comptoir en riant.

I got you, girl. La fille qui t'a précédée a démissionné à cause de ça. Oleg est lourd comme mec. Appelle si tu as besoin de moi.

– Merci, Jian. Il s'éloigne après un clin d'œil. Je me force à lui sourire même si le cœur n'y est pas. Deux semaines que je vis comme une automate.

Deux semaines que je suis habitée par un calme que ressent une personne shootée à la cocaïne. J'ai débuté ce que Camille appelle un soft divorce. Je ne sais pas si on peut appeler ça un divorce, mais j'ai un besoin vital de rester un peu loin de la cosa nostra, surtout d'une certaine personne, pour essayer de remettre de l'ordre dans ma vie. Grâce à Camille et son talent pour la création de faux papiers, j'ai pu obtenir la nationalité italienne. Ces papiers m'ont permis de trouver un petit travail dans une librairie qui est à 10 minutes de chez moi à pied.

Je me lève toujours avant le soleil et je mange tout ce qui me tombe sous la main. Je mange tellement qu'un matin, Nathan m'a regardée comme si j'étais une nouvelle espèce avant de questionner :

– Tu es enceinte ? Attirant l'attention de papa sur moi, évidemment, le vieux a commencé à se faire des idées et il est venu me trouver dans ma chambre.

– Tu sais, ma puce, si tu es enceinte, ce n'est pas bien grave. Un enfant est toujours une bénédiction, c'est Riccardo le père.

J'avais avalé ma glace de travers et décidé de ne plus jamais manger à la maison si ça me valait ce genre d'échange avec mon père. Le seul moment où je me sens légère, c'est quand je suis dans la librairie. Même les harcèlements continuent de Oleg ne peuvent pas me retirer ce sentiment. L'odeur et la vue des livres m'apaisent, ils me rappellent un rêve longtemps oublié : celui d'écrire mes propres histoires. Maman disait toujours que j'avais du talent, que je pourrais écrire des histoires formidables, mais j'ignore ce qui s'est passé entre le moment où j'étais une enfant pleine de rêves et cette adulte pleine de doutes, blasée, sans but.

La Pieuvre De L'ombre 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant