Chapitre 15

30 12 15
                                    

Quand je me réveille, je n'ai aucune idée d'où je suis, ni qui je suis. Je sais juste que j'ai mal au crâne. Je me risque à ouvrir les yeux. Les premiers rayons du soleil naissant percent les interstices des vieilles planches qui condamnent les fenêtres. Aïe... J'attrape ma tête. La lumière confirme ma migraine. Autour de moi, je ne reconnais rien, du moins pas tout de suite. Il faut dire que je vois encore flou. Tant pis, pour le moment, je referme les yeux. Je récupère les souvenirs fragmentés de la veille. Ils sont éparpillés et je ne comprends pas ce qui s'est passé.

L'imaginaire se mêle à la réalité. Je vois les sourires de mes amies, Jason qui tente de m'embrasser, le nez ensanglanté d'Ashley. Au milieu de ce désastre, il y a des sons et des odeurs, mais je ne sais pas d'où ça sort. Quelque chose est incomplet, alors je continue de fouiller dans les limbes de cette soirée. Ce n'est pas évident. Les détails demeurent insaisissables, comme des instantanés capturés en rêve. Je me mets à tousser et je commence à me rappeler. Sa main me passe un joint et

l'instant d'après, elle m'emmène loin.

Je me lève du matelas défoncé. Je sais qui dort à côté. J'ai pas rêvé... Je me demande comment ça a pu arriver. En vérité je le sais, je veux juste pas me l'avouer. J'ose pas le regarder. Si je le fais, je sais que je n'éprouverais pas les remords que je devrais. Mes pas hésitants me mènent à la fenêtre barricadée où le soleil essaie de se faufiler. Je m'arrête un instant pour observer les particules de poussière qui flottent dans les airs. Quand je tends la main pour en capturer, ils filent entre mes doigts, aussi insaisissables et fragiles que les bribes de ma mémoire. « Tu veux savoir où cette soirée peut nous porter ? » Maintenant, je le sais.

Dans le calme de cette étrange maison, je me sens en sécurité. Hors du temps et hors du monde, mon existence cesse d'avoir du sens. Ou plutôt, je ne lui en cherche plus. Je peux pas rester enfermée pour l'éternité. Le froissement des draps derrière moi me tire de mes pensées. Je referme ma main qui de toute façon n'attrape rien.

Il est encore à moitié endormi et ses pieds remuent sous la couette. Ses yeux s'ouvrent doucement. Lui aussi croit rêver. Dans mon carré de lumière, j'ai l'air d'un mirage prêt à s'évaporer. Un sourire mutin étire ses lèvres tandis qu'il laisse son regard s'attarder sur mon corps à peine voilé.

— Bien dormi ? murmure-t-il d'une voix rendue rauque par les excès.

Je m'installe à ses côtés au bord du matelas.

— On peut pas dire que j'aie beaucoup dormi...

Mes joues s'empourprent tandis que les souvenirs lascifs de nos ébats me reviennent en pleine face. Elliot semble le remarquer et son sourire s'étire davantage pendant qu'il se redresse.

— Tu semblais pas t'en plaindre...

Je fronce les sourcils, prête à attraper le premier coussin que je trouve pour le lui jeter dessus. Trop lente, ou simplement, me connait-il déjà trop bien. Quoique cela puisse être, il anticipe mon geste et passe ses bras autour de moi pour me serrer contre lui. Je n'ai même pas le temps de protester, pas l'envie non plus. Il m'entraine sous la couette et m'y fait sa captive. Face à face dans le cocon de tissu qu'il vient de créer, je ris.

— Je suis ta prisonnière maintenant, c'est ça ?

— Exactement ! Je te laisse plus partir.

J'ai pas envie de partir, tu sais. Il se colle davantage contre moi. Nos respirations se mêlent tandis que je plonge dans son regard espiègle. Il me fascine autant qu'il m'effraie. Un océan de non-dits y réside, et je crains un jour de m'y noyer. Pourtant, je n'arrive pas à me détourner de ses prunelles qui veulent m'aspirer. D'un geste presque craintif, je caresse sa tempe, repoussant une mèche de son front. Mon autre main dessine les courbes de son visage, comme pour en graver chaque détail dans ma mémoire avant qu'il ne s'efface. Je l'observe avec une insistance troublée, cherchant désespérément à percer le mystère de ce lien qui s'est créé entre nous.

— Qu'est-ce qu'il y a ? murmure-t-il sans se départir de son sourire.

Sa voix me ramène sur terre, brisant le sortilège. Je secoue doucement la tête, réalisant que j'étais perdue dans la contemplation.

— Y a rien !

Je lui pince le nez et me libère de la couette sous laquelle je commence à suffoquer. À l'air libre, je respire un grand coup pour m'extraire de cette torpeur envoutante. Mes pieds nus foulent le vieux parquet fissuré à la recherche de mes vêtements. Elliot ne me retient pas. Il se contente de m'observer d'un œil interrogateur.

Je fais quelques pas jusqu'à la fenêtre condamnée où je me suis arrêtée un peu plus tôt. Ma robe traine au sol et je me penche pour l'attraper. Elle est pleine de poussière, alors je dois la secouer. Derrière moi, les draps s'agitent dans un froissement ténu. Je devine Elliot qui se lève, probablement intrigué par mon mutisme soudain. Ses bras m'enlacent avec douceur et son torse se presse contre mon dos. Je sens son menton chatouiller ma nuque.

— Tu veux déjà te barrer ? murmure-t-il contre mon oreille.

Un sourire triste flotte sur mes lèvres à cette question dont la réponse s'échappe dans un soupir. Pas vraiment... Mais je suis bien obligée. Doucement, je me dégage de son étreinte et me tourne pour lui faire face. Son regard se fait inquiet, comme s'il pouvait deviner le chaos qui m'agite. D'une main tremblante, je caresse sa joue mal rasée avant de finir d'enfiler ma robe.

— Je dois rentrer avant midi sinon...

Elliot se racle la gorge, il connait la suite. Il se détourne pour ramasser son pantalon, et l'enfile d'un geste sec et précipité. Je l'observe en silence. J'ai l'impression d'avoir cassé quelque chose. En silence, il tire le paquet de clopes de sa poche et allume sa première cigarette de la journée. L'odeur me pique le nez et je tousse un peu.

— Merde ! Désolé, dit-il en dispersant la fumée d'un coup de main.

Il récupère le reste de ses affaires et je remets de l'ordre dans mes cheveux. Un rire amer m'échappe lorsque je croise mon reflet dans un carreau brisé. Je fais pitié avec mes yeux cernés et mes lèvres gercées. Elliot pose sa main sur mon épaule et son image se joint à la mienne. Je fixe notre portrait. On ressemble à rien, on a ça en commun.

— Viens, je t'accompagne en bas.

Je le laisse me guider dans l'étroit couloir. Des craquements protestent sous nos pieds. Le plancher doit lui aussi regretter mon départ. Je lance un dernier regard vers la pièce où on a franchi l'interdit, puis en silence, on emprunte l'escalier. Au rez-de-chaussée, les rayons tamisés percent les rideaux déchirés. Devant la porte, une sourde angoisse m'étrangle. Je retiens un soupir et plutôt que d'ébruiter mon appréhension, pousse le battant qui grince sur ses gonds rouillés.

— Merci pour la soirée, Elliot.

Ma voix n'est qu'un murmure désolé.

— Attend !, dit-il en capturant mon poignet. On pourrait se revoir... si tu es libre un de ces jours

Ses yeux ne me quittent pas, ils en sont incapables. Et maintenant ? On reste bloqué au seuil de nos mondes qui n'auraient pas dû se croiser. On espère l'impossible. Ses doigts errent sur mon visage avec une tendresse incertaine. Je crois que dans sa tête il répète des marabouts pour me faire dire oui. Il se risque à m'embrasser et sa bouche dévaste toute volonté de tirer un trait sur cette relation insensée.

— Personne n'a besoin de savoir ce qui se passe entre ces murs, tu sais... chuchote-t-il à mon oreille avant de reculer.

Son regard à nouveau dans le mien, il veut déchiffrer les secrets qui s'y cachent. Il n'y en a pas. Tout ce que je sais, tu le sais déjà. Le reste, c'est des questions, et j'ai pas le temps pour ça. Advienne que pourra. Je me hisse sur la pointe des pieds et colle à nouveau mes lèvres contre les siennes. C'est ma façon de lui dire à bientôt sans vraiment le promettre. Je me détache de lui à contrecœur, tournant le dos à son regard suppliant. 

Goodbye MaryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant