Goodbye Mary

Chapitre 43

Devant le bar, David fait crisser les pneus avant de s'arrêter. J'ouvre la porte et sors, les jambes tremblantes après cette virée qui aurait pu tous nous tuer. Sur le trottoir, c'est un défilé de motards et de filles tout de cuir vêtues. Je regarde mon collant déchiré et me dis que j'ai bien fait de le customiser. D'un geste de la tête, David pointe l'entrée avant de s'en aller par une porte dérobée avec Nath. Réservée aux artistes qu'il me dit. Seule entourée par ces gens tout droit sortis d'un clip de Mötley Crüe, je me fais toute petite. Bloquée par quelques balèzes tatoués, je tente de me glisser entre leurs corps poisseux.

La bière et la sueur, c'est tout ce que je sens.

À l'intérieur, ce n'est guère mieux. Accueillie par une marée humaine, je me mets sur la pointe des pieds pour trouver Rachel qui doit m'attendre depuis bien trop longtemps. On n'y voit pas grand-chose à vrai dire. Entre les chevelus qui agitent leurs têtes, les lumières qui clignotent depuis la scène et la fumée aussi épaisse qu'un brouillard d'automne, je peine à repérer mon amie. Je force alors un passage vers le bar, espérant y voir plus clair. Hélas, à part une armée de motards à l'allure menaçante, je ne trouve rien. Soudain, l'un d'eux m'interpelle et mon cœur martèle dans ma poitrine face au monsieur qui fait bien le double de ma taille.

— Tu cherches quelque chose ma jolie ?

— Euh... C'est-à-dire que je cherche mon amie... petite avec de longs cheveux roux.

L'homme lâche un rire rauque et prend une gorgée de bière avant de secouer la tête.

— J'ai rien vu de tel. Mais je peux t'aider à la retrouver.

— Oh, euh, non... c'est...

Je n'ai pas le temps de terminer qu'il attrape mes hanches et me soulève jusqu'au comptoir.

Oh bah très bien.

Il a la politesse de ne pas toucher mes fesses.

— Alors, tu la vois ?

Debout sur le bar, je guette chaque recoin de la pièce. Une rouquine frêle et discrète, ce n'est pas ce qui attire le regard. Mes yeux se posent sur une figure anxieuse qui rase les murs en regardant partout autour d'elle. Je l'appelle mais ma voix est trop fluette pour l'atteindre. Le grand gaillard qui m'a portée s'époumone à son tour et hurle le nom de mon amie qui se tourne vers nous.

C'est qu'il a la voix qui porte.

Dans l'ombre je vois son visage s'illuminer et je lui fais signe de m'attendre. Le balèze m'aide à descendre de mon promontoire et me lance un sourire amical, à moitié voilé par sa longue moustache. Gros nounours qu'il est, il repousse les corps collants qui me barrent la route et je trottine vers mon amie, non sans lui glisser un merci. Lorsque j'arrive devant Rachel, elle n'en croit pas ses yeux et me dévisage de haut en bas. Elle bigle presque devant mes collants déchirés.

— Tina ? C'est vraiment toi ? demande-t-elle, incrédule.

Je souris, un peu gênée.

— Surprise ?

Elle rit aux éclats et secoue la tête.

— J'hallucine ! Tu ressembles à... à...

— Joan Jett ? je propose, espérant secrètement que la comparaison soit flatteuse.

Rachel glousse mais ce n'est pas par moquerie. Son rire est contagieux et je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour. Pour la première fois depuis notre arrivée, je me sens à ma place, l'excitation du concert à venir pulsant dans mes veines.

— On devrait peut-être se rapprocher de la scène, propose Rachel en me tirant par le bras.

J'acquiesce et on commence à se frayer un chemin à travers la foule. L'air est chargé d'anticipation, de sueur et de parfums bon marché. Les corps se pressent autour de nous, mais je ne m'en soucie guère, trop occupée à savourer ce moment de liberté. C'est alors qu'au détour d'un regard je croise celui que je ne pensais pas voir. Les cheveux en bataille et le maquillage dégoulinant sous ses yeux, la blonde m'observe avec un sourire que je ne sais pas interpréter. Je détourne mon visage et jette un œil sur Rachel qui l'a vue aussi. Doucement, comme un prédateur s'approchant de sa proie, la grande blonde se fraie un chemin vers nous.